Ouverture des tribunaux – 2016

ALLOCUTION DE LA JUGE EN CHEF HEATHER SMITH
COUR SUPÉRIEURE DE JUSTICE
OUVERTURES DES TRIBUNAUX
TORONTO, LE 13 SEPTEMBRE 2016

  • Mesdames et Messieurs les juges en chef,
  • Chers collègues de la magistrature,
  • Monsieur le Procureur général,
  • Monsieur le Trésorier,
  • Michael Morris, au nom de la ministre de la Justice,
  • Mesdames et Messieurs les membres du Barreau et parajuristes,
  • Distingués invités.

Je vous souhaite, à tous et à toutes, la bienvenue à I’occasion du début de cette nouvelle année judiciaire. C’est avec grand plaisir que je me joins, une fois de plus, aux représentants du secteur de la justice, pour participer à la cérémonie d’ouverture des tribunaux.

Cette année, contrairement à la plupart des années précédentes, il n’y a personne de nouveau à la haute direction de la Cour supérieure de justice. Notre juge en chef adjoint, notre juge principal de la Cour de la famille et tous nos juges principaux régionaux continuent de gérer efficacement notre Cour et de me prodiguer d’excellents conseils.

Toutefois, nos partenaires du secteur de la justice ont de nouveaux dirigeants : une nouvelle procureure générale du Canada, Jody Wilson-Raybould; un nouveau procureur général pour l’Ontario, Yasir Naqvi; une nouvelle sous-procureure générale adjointe pour la Division des services aux tribunaux, Sheila Bristo; et un nouveau trésorier du Barreau, Paul Schabas. J’adresse à chacun d’entre eux mes félicitations et mes meilleurs vœux de réussite dans leurs nouvelles fonctions. Notre Cour attend avec impatience de travailler en collaboration avec eux afin d’adresser les nombreuses questions importantes auxquelles est confronté le système de justice en Ontario.

Aux cours de l’année passée, la Cour supérieure a conclu les initiatives qu’elle avait entamées les années précédentes et nous avons rempli les promesses faites, ici même, l’année dernière. Nous avons finalisé et mis en œuvre nos « pratiques exemplaires » dans tous les domaines de travail de la Cour – le droit de la famille, la protection de l’enfance, le droit civil et le droit criminel – afin d’améliorer l’efficacité de l’établissement des rôles et la gestion des causes. La Cour supérieure a publié une série de nouvelles directives de pratique afin d’encourager les avocats et les parties à se conformer à ces pratiques exemplaires.

Cette année, nous estimons avoir établi un système judiciaire plus accessible et plus efficient. Nous sommes également fiers d’avoir pu agir rapidement en réponse à chaque transformation du paysage juridique, comme c’est souvent le cas. Parmi les changements fondamentaux de l’année, mentionnons la décision de la Cour suprême du Canada de prolonger le délai d’adoption d’une nouvelle législation sur l’aide médicale à mourir. Dans cette décision, la Cour suprême a déclaré qu’une partie pouvait déposer auprès de tribunaux supérieurs provinciaux une demande d’ordonnance autorisant une aide médicale à mourir.

Sous la direction de quelques juges chevronnés, notre Cour a promptement rédigé un avis de pratique destiné à guider les avocats et les parties dans le processus de demande d’une ordonnance de ce genre. Les tribunaux à la grandeur du pays se sont inspirés de cette initiative pour mettre au point leurs propres pratiques en la matière. Comme nous nous y attendions, notre avis de pratique n’a pas rallié l’unanimité, mais nous avons été acclamés pour notre leadership sur cette question importante. J’ai été très fière de la rapidité avec laquelle nos juges ont entendu 13 demandes urgentes, chacune dans un délai de sept jours. Ils ont ensuite rendu des motifs profonds et réfléchis pour leurs décisions, dans les 24 heures, dans chaque cas.

En partenariat avec CLEO [Éducation juridique communautaire Ontario], nous avons produit un merveilleux guide bilingue des instances de droit de la famille à la Cour supérieure, en langage simple, à l’attention des parties à un litige de droit de la famille qui se représentent elles-mêmes.

Encore, en tenant compte de l’intérêt des parties à un différend de droit de la famille, la Cour supérieure, la Cour de l’Ontario et le procureur général de l’Ontario ont tous déclaré leur soutien sans réserve pour l’expansion de la Cour unifiée de la famille. Je crois que nous bénéficions également de l’appui de la ministre fédérale, ce qui est essentiel. Ces derniers mois, les deux tribunaux de première instance ont collaboré en vue de déterminer dans quels tribunaux il y a lieu de procéder à l’expansion immédiate de la Cour de la famille ainsi qu’à l’embauche de l’effectif judiciaire nécessaire. L’objectif ultime est de mettre en place une Cour unifiée de la famille suffisamment dotée en personnel dans chaque Cour supérieure de la province d’ici 2025.

Dans un autre registre, les efforts que nous avons déployés l’année passée pour optimiser l’établissement des rôles de notre Cour ont été couronnés de succès. Nous avons œuvré diligemment afin de trouver le juste équilibre entre les exigences des affaires criminelles et celles des affaires de droit de la famille, tout en veillant à attribuer des ressources judiciaires suffisantes à des affaires civiles importantes et urgentes.

Au mois de juillet, le paysage juridique a de nouveau subi un revirement. La décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Jordan a révisé les délais constitutionnels requis pour tenir un procès pour les affaires criminelles. Les délais énoncés dans l’arrêt Jordan doivent être respectés et la Cour supérieure de justice relève ce défi. Nous avons déjà entrepris de réexaminer et peaufiner tout ce qui relève de notre compétence en vue de nous conformer aux nouveaux délais. À court terme, la Cour doit traiter les nouvelles demandes fondées sur l’alinéa 11 b) de la Charte. Le 1er septembre, la Cour a promulgué une nouvelle directive de pratique garantissant que ces demandes sont inscrites au rôle et conduites d’une manière équitable et efficace (i) en clarifiant les documents à l’appui qui doivent accompagner une demande en vertu de l’alinéa 11 b); et (ii) en exigeant que toutes les demandes en vertu de l’alinéa 11 b) soient entendues au moins 60 jours avant la tenue du procès. À long terme, la Cour doit consacrer les ressources judiciaires nécessaires afin de surveiller et de gérer activement les affaires criminelles complexes, dans l’objectif de respecter les nouveaux délais.

Comment allons-nous relever le défi de terminer les procès criminels dans les délais imposés par l’affaire Jordan?

Pour commencer, nous ne pourrons pas respecter les exigences de l’arrêt Jordan sans un effectif judiciaire complet. Je remercie la ministre de la Justice des cinq excellents juges qui ont été nommés à notre Cour en juin de cette année. Malgré ces nominations, nous avons actuellement dix postes vacants, dont la moitié à Toronto. L’un de ces postes est vacant depuis 18 mois. Je me dois de continuer, respectueusement, à faire pression sur le ministère de la Justice pour que les postes actuellement vacants dans notre Cour soient pourvus et que les postes qui se libéreraient dans le futur soient pourvus le plus rapidement possible.

Par ailleurs, il nous faut une administration des tribunaux moderne et des salles d’audience modernes. C’est vers vous que je me tourne maintenant, Monsieur le Procureur général. Nous avons urgemment besoin d’une technologie capable d’accélérer les étapes administratives et celles qui se déroulent au tribunal, dans tous les domaines d’activités de la Cour. Nos juges sont encouragés par votre récent et solide engagement public d’améliorer la technologie dans les tribunaux.

Si les juges et les greffiers pouvaient avoir accès à des renseignements sur la gestion des causes dans la salle d’audience; si les juges pouvaient rendre des ordonnances signées dans la salle d’audience; si les juges et les avocats pouvaient avoir accès aux résultats de leurs recherches juridiques avec un réseau Wi-Fi dans la salle d’audience; si une technologie fiable de téléconférences et de vidéoconférences pouvait être utilisée dans les principales salles d’audience; si tous ces outils étaient mis à la disposition des juges dans toute la province, je suis certaine que nous réaliserons des économies qui nous permettront de respecter invariablement des délais plus courts.

Peut-être que notre Cour était visionnaire, ou tout simplement chanceuse, il y a presque une année, lorsqu’elle a commencé à se pencher sérieusement sur la nécessité de moderniser. Nous avons formé un comité de modernisation judiciaire chargé de déterminer les besoins de modernisation de la Cour et de rencontrer la sous-procureure générale adjointe pour la Division des services aux tribunaux afin de plaider notre cause. Le ministère est doté d’une nouvelle Division de la modernisation, dirigée par la sous-procureure générale adjointe Lynn Norris, et la Division des services aux tribunaux a mis au point un plan de modernisation. Ses plans pour la technologie judiciaire sont très prometteurs, mais le rythme de la mise à exécution est bien trop lent! Dans la foulée de l’arrêt Jordan, je vous demande instamment, Monsieur le Procureur général, de passer à la vitesse supérieure.

La Cour coopérera avec tous ses partenaires du système de justice pour trouver de nouvelles façons de réduire les délais entre chaque étape d’une affaire criminelle. Aussi bien le procureur de la Couronne que la défense a un rôle à jouer pour assurer le prompt règlement des affaires criminelles. Dans un monde aux ressources limitées, les avocats de la Couronne ont une responsabilité particulièrement importante à remplir. La Couronne dispose d’un vaste pouvoir discrétionnaire pour décider quelles affaires et quelles accusations seront poursuivies, si la poursuite se fera par la mise en accusation ou la procédure sommaire, la forme que prend la poursuite et l’ordre de priorité des affaires. Je suis sûre que la ministre fédérale de la Justice et le procureur général de l’Ontario veilleront à ce que leurs procureurs disposent les ressources et le soutien dont ils ont besoin pour remplir cette responsabilité difficile, mais absolument essentielle.

La Cour supérieure relèvera chaque nouveau défi sur son chemin. Il le faut! En qualité de juge en chef, j’ai beaucoup de chances de pouvoir compter sur le soutien inébranlable des cadres de la Cour pour répondre promptement à ces défis. J’apprécie aussi énormément le dévouement que démontre chaque juge de la Cour dans son travail et dans son service au public. Permettez-moi de faire une pause pour vous raconter brièvement une anecdote.

Un samedi d’août, sous une chaleur de plomb, le serveur informatique du palais de justice de Brampton est tombé en panne par inadvertance, causant des problèmes catastrophiques pour trois juges de la Cour supérieure qui rédigeaient des exposés au jury dans leurs cabinets au palais de justice. Je sais que ces juges ont été profondément agacés, et à juste titre. Néanmoins, pendant cette magnifique fin de semaine d’été, ils ont retroussé leurs manches un peu plus haut et terminé ou réécrit entièrement leurs exposés au jury à la main.

Chaque fois que je m’attaque à un nouveau problème qui surgit, je suis réconfortée par les véritables partenariats que nos homologues du secteur de la justice continuent de forger avec nous. Certains de ces problèmes sont si complexes – et leurs répercussions si graves si on ne les résout pas – qu’il est nécessaire de pouvoir compter sur un sérieux effort collaboratif à l’échelle du système de justice pour pouvoir trouver des solutions durables. Remarquablement, c’est exactement ce qui se passe. Tout le secteur de la justice, secondé par les institutions canadiennes, se mobilise pour atténuer les difficultés et les injustices que subissent les peuples autochtones.

La très honorable Beverly McLachlin, juge en chef du Canada, a affirmé à plusieurs reprises que la réconciliation entre les peuples autochtones du Canada et le reste de la population canadienne constituait l’un des enjeux les plus pressants que devra relever le système de justice au cours des prochaines décennies.

Le premier ministre du Canada s’est engagé à faire participer les peuples autochtones à toutes les discussions gouvernementales. Il l’a mis noir sur blanc dans sa lettre de mandat envoyée à chaque ministre fédéral, dont la ministre de la Justice fédérale.

Notre Cour a été diligemment active à l’égard de ces problèmes. Depuis mai dernier, nous planifions la conférence judiciaire d’automne de notre Cour, dont le thème de cette année porte sur les difficultés juridiques auxquels sont confrontés les Autochtones dans différents aspects des activités de notre Cour. Cette conférence et son thème répondent aux appels à l’action de la Commission de la vérité et de la réconciliation (juin 2015). Les cadres des trois Cours se sont récemment réunis, en compagnie de l’éminente sous-procureure générale adjointe de la Division de la justice pour les Autochtones, Kimberly Murray, en vue de discuter de la mise en œuvre, par le gouvernement de l’Ontario, de sa réponse aux appels à l’action de la Commission. Par ailleurs, notre Cour a accepté l’invitation de Mme Murray d’envoyer des représentants judiciaires à un sommet sur les affaires de style Gladue que sa Division tiendra cet automne, à Thunder Bay.

Les alliances collaboratives que nous forgeons avec différents partenaires du secteur de la justice sur toutes les questions importantes – des délais dans les affaires constitutionnelles à la modernisation des tribunaux en passant par la justice pour les Autochtones – constituent la force de notre système.

Notre Cour valorise et protège assidûment l’indépendance individuelle de chacun de ses juges afin de garantir qu’il prenne des décisions justes et impartiales dans chaque cas qu’il traite. Cependant, nous savons aussi qu’au niveau institutionnel nous sommes plus forts lorsque nous joignons nos forces avec d’autres tribunaux, d’autres directions du gouvernement, des avocats et des organismes pro bono. Ensemble, nous sommes vraiment plus forts!

Grâce au dialogue et à la coopération, nous assurerons un accès efficace à la justice, l’administration efficiente de la justice et l’adhérence à la règle de droit. C’est ainsi, collectivement, que nous réussirons à relever les défis que présente un paysage juridique en constante évolution. C’est ainsi que nous réussirons!

Merci. Thank you.