Allocution du juge en chef adjoint Frank Marrocco
Cour supérieure de justice
Ouverture des tribunaux
Toronto, le 10 septembre 2019
Votre Honneur, Monsieur le juge en chef Strathy, Monsieur le ministre de la Justice et procureur général du Canada, Monsieur le Procureur général de l’Ontario, Monsieur le Juge en chef Morawetz, Madame la Juge en chef adjointe Hoy, Madame la Juge en chef Maisonneuve, Monsieur le Juge en chef Noël, Monsieur le Juge en chef Crampton, Madame la Juge en chef Duval-Hessler, Monsieur le Juge en chef Fournier, Madame la Juge en chef Rondeau, Monsieur le Trésorier, Mesdames et Messieurs les membres du Barreau, Invités distingués.
Cette cérémonie nous donne l’occasion de nous retrouver pour réitérer et renforcer notre engagement commun d’améliorer l’administration de la justice pour la population de l’Ontario.
Dans plus de 50 palais de justice de la province qui abritent une Cour supérieure, des personnes dévouées partagent notre mission; des personnes dévouées, sans lesquelles nous ne pourrions pas nous acquitter de nos responsabilités.
Ce n’est pas seulement en mon nom que j’affirme que nous tenons en grande estime chacun et chacune d’entre vous, mais également au nom du juge en chef Morawetz et de tous les juges de la Cour. L’administration de la justice est souvent un concept considéré comme abstrait, mais c’est une erreur. C’est très personnel. Bien des fois, et assez littéralement, ce sont des gens dans notre province qui exécutent au quotidien les tâches nécessaires au fonctionnement efficace et sécuritaire du système.
Vous êtes une partie indispensable de notre système judiciaire. You are an important part of our judicial system.
Vous préservez notre système judiciaire. Les juges de notre Cour savent à quel point vous êtes importants et en leur nom, je vous assure que nous apprécions vos efforts. Notre système est obsolète et inondé de documents imprimés. Sans vous tous, nous serions rapidement submergés.
Pendant les quelques minutes qui me sont allouées, j’aimerais faire trois choses : marquer le départ à la retraite de notre ancienne juge en chef, même si je ne saurais rendre justice à son héritage pendant la durée de mon allocution, jeter un dernier regard sur l’année qui vient de s’écouler et finalement, parler de l’avenir.
L’ancienne juge en chef Heather Smith a rempli les fonctions de juge en chef de notre Cour pendant 17 ans. Elle a été nommée juge à l’âge de 36 ans et a donc passé la moitié de sa vie au service de la Cour supérieure et de ses prédécesseurs. Elle s’est entièrement dévouée à la Cour supérieure, elle a soutenu nos juges sans compromis et elle a apporté de nombreuses réformes positives à l’administration et aux procédures de la Cour. Notre ancienne juge en chef s’intéressait particulièrement au droit de la famille et, avec l’appui du juge principal de la Cour de la famille George Czutrin, a mis en œuvre l’expansion de la Cour unifiée de la famille que vous connaissez tous.
Elle a aussi fait des démarches importantes pour faire progresser les services en français. She also took important steps to advance French language services.
Ces 12 derniers mois, la Cour supérieure de justice a été la cour supérieure la plus chargée du Canada. Par exemple, plus de 73 000 nouvelles instances civiles ont été introduites à la Cour supérieure et 60 000 instances de plus ont été introduites devant la Cour des petites créances. Notre Cour a enregistré presque 47 000 instances de droit de la famille et 3 209 instances de droit criminel. Par ailleurs, 1 358 instances ont été introduites devant la Cour divisionnaire.
J’ai mentionné plus haut l’expansion de la Cour unifiée de la famille en Ontario. Je tiens à remercier le ministre de la Justice du Canada et le procureur général de l’Ontario – les ministres en fonction aujourd’hui et leurs prédécesseurs – d’avoir veillé à l’expansion de la Cour unifiée de la famille en Ontario.
En 2018, au total, un peu plus de 63 000 nouvelles instances de droit de la famille ont été introduites dans les deux tribunaux de première instance de l’Ontario. Les familles résidant dans des régions dotées d’une Cour unifiée de la famille ont pu bénéficier d’une procédure plus simple et d’un règlement plus rapide des incertitudes découlant de la rupture des relations conjugales pour leurs enfants.
C’est une réforme qui améliore véritablement l’accès à la justice.
Au nom du juge en chef Morawetz, du juge principal de la Cour de la famille Czutrin, de tous les juges de notre Cour et en mon nom personnel, merci de cette réforme remarquable.
Malheureusement, un manque d’installations adéquates a empêché de poursuivre l’expansion de la Cour unifiée de la famille, cette année, dans d’autres villes, dont Toronto et Brampton. Toutefois, nous sommes reconnaissants de l’engagement de mener à terme l’expansion de la Cour unifiée de la famille en Ontario d’ici 2025.
Au nom des juges de la Cour supérieure, j’aimerais remercier le procureur général de l’Ontario et sa prédécesseure, la ministre Caroline Mulroney, d’avoir augmenté le nombre de dossiers civils instruits en vertu de la procédure simplifiée. Cette réforme nous permettra d’instruire ou de régler un nombre considérablement plus important de cas selon une démarche simplifiée, et donc moins coûteuse. Cette initiative s’inscrit dans le cadre des efforts généraux de la Cour de simplifier ses procédures afin de les rendre moins dispendieuses.
Comme pour tant de nos initiatives, nous étions tributaires du consentement et de l’appui du procureur général, que nous avons heureusement reçus. Nous vous en remercions.
Qu’en est-il de l’avenir? C’est un sujet plus difficile à aborder. C’est simple. Nous avons besoin d’une nouvelle entente : il est impératif de moderniser. Quite simply, we need a new arrangement because we need to modernize.
Il est vrai que nous évoluons dans notre façon d’agir pour tenter de faire face à la complexité croissante et au nombre important d’instances, mais il y a des limites à ce que nous pouvons accomplir à cet égard.
Des mesures ont bien été mises en place pour faciliter le dépôt de documents par la voie électronique, de comparaître à distance et de consigner les audiences et activités qui ont lieu au quotidien dans nos tribunaux. Cependant, pour tirer véritablement parti de ces innovations, il faut procéder à un modeste investissement, judicieusement géré, dans la technologie. Cet investissement se fait attendre, bien que ses avantages aient été acceptés sans question.
Je pense que la meilleure façon de conceptualiser la situation actuelle est d’imaginer ce qui se passerait si certains des plus éminents avocats de l’histoire pénétraient dans cette salle d’audience pour traiter un dernier dossier. Ils se sentiraient à l’aise sans aucun doute, parce que, réellement, rien n’a changé. Ils trouveraient un système reposant sur des documents imprimés, très semblable à celui qu’ils connaissaient. L’audience se déroulerait exactement comme dans leurs souvenirs. Ils profiteraient de l’occasion pour démontrer leurs connaissances et leur éloquence une dernière fois.
Malheureusement, cette nostalgie ne nous apporte aucun réconfort.
Nous ne jouons pas au baseball dans un champ de maïs en Iowa. Nous ne jouons pas un rôle dans un film légendaire.
Nous tentons de nous acquitter de notre responsabilité de rendre justice pour la population de l’Ontario et cette tâche devient de plus en plus difficile à accomplir à cause de notre incapacité de moderniser notre système à un rythme acceptable.
C’est la raison pour laquelle nous avons besoin d’un nouvel accord.
Je suggère respectueusement que le gouvernement reconnaisse l’importance des services juridiques pro bono et qu’il collabore dans la mesure du possible avec des initiatives pro bono. Les services pro bono ne constituent pas un empiétement concurrentiel ou une ingérence bien intentionnée, mais énervante. J’ajouterais qu’il ne s’agit pas non plus d’une solution globale. Non, il s’agit plutôt d’une réalité qui est née de la tension entre les contraintes financières qui nous sont imposées et les besoins juridiques de la population ontarienne.
L’expression la plus récente de cette tension est la réduction considérable du financement de l’aide juridique.
Le Barreau, Aide juridique Ontario et Pro Bono Law Ontario ont mené une analyse des besoins. Même si cette analyse remonte à quelques années, elle constitue un excellent point de départ pour l’expansion des services pro bono.
Je pense, respectueusement, que le barreau doit reconnaître sa responsabilité d’encourager une expansion contrôlée des services pro bono, afin d’exécuter le contrat social conclu en 1797, lorsque le juge en chef William Osgoode et le gouverneur John Graves Simcoe ont décidé que le barreau devrait s’auto-réglementer. Ils sont parvenus à cette décision après avoir conclu qu’une profession d’avocat auto-réglementée serait le meilleur moyen de mettre des services juridiques à la disposition des gens qui vivaient dans le Haut-Canada.
L’accord est énoncé dans la loi de 1797 qui créait un barreau auto-réglementé afin « de doter la province d’un corps savant et honorable qui serait en mesure d’aider ses concitoyens selon le besoin … ». La Loi sur le Barreau reprend cette mission, à l’article 4.2, en faisant de « l’obligation d’agir de façon à faciliter l’accès à la justice pour la population ontarienne » un principe directeur de la profession d’avocat.
Évidemment, je ne veux pas dire ou insinuer que le Barreau à lui tout seul peut élargir les services pro bono ou qu’il assume la seule responsabilité de cette expansion. Quand je parle du barreau, j’inclus également les organismes de services juridiques bénévoles, qui sont pratiquement tous représentés ici, aujourd’hui.
Pour terminer, notre Cour doit se mobiliser pour obtenir une réforme de ses relations avec le pouvoir exécutif qui conférera à la Cour un plus grand contrôle à l’égard des ressources que le gouvernement décide de lui octroyer.
Nous devons établir nos propres priorités et être responsables de leur exécution.
Nous ne pouvons pas nous moderniser sans un investissement suffisant dans la technologie. Nous devons déterminer et défendre l’étendue de cette priorité, et assumer la responsabilité de la création et de la mise en œuvre de la réforme.
Nous ne pouvons plus attendre qu’on nous dise à la fin d’une réunion : « Pas cette année, peut-être l’année prochaine. »
Personnellement je regrette que la Cour soit obligée d’intervenir dans ce genre de problème. Toutefois, nous sommes un pouvoir distinct mais égal du gouvernement. Nous ne sommes pas un service au sein d’un ministère et nous devons insister pour assumer la responsabilité qui accompagne ce principe constitutionnel.
Enfin, permettez-moi de dire, au nom du juge en chef Morawetz, de moi-même et de tous les juges de notre Cour, que nous avons le privilège de pouvoir servir l’administration de la justice et la population de l’Ontario, et que nous ferons notre possible pour sauvegarder la responsabilité qui accompagne ce privilège.