DANS L’AFFAIRE DE 81 plaintes concernant l’honorable juge Bernd Zabel
Juge de la Cour de justice de l’Ontario dans la région du Centre-Ouest
MOTIFS DE DÉCISION
Devant :
L’honorable juge Robert Sharpe, président
Cour d’appel de l’Ontario
L’honorable juge Leslie Pringle
Cour de justice de l’Ontario
Christopher D. Bredt
Borden Ladner Gervais LLP
Avocat
Farsad Kiani
Membre du public
Comité d’audition du Conseil de la magistrature de l’Ontario
Avocats :
Mme Linda Rothstein et M. Michael Fenrick
Paliare Roland Rosenberg Rothstein LLP
Avocats chargés de la présentation
Ricardo G. Federico et Mme Giulia B. Gambacorta
Avocats de l’honorable juge Bernd Zabel
MOTIFS DE DÉCISION
- Le 9 novembre 2016, le lendemain de l’élection présidentielle des États-Unis, le juge Bernd Zabel est entré dans la salle d’audience en portant une casquette rouge sur laquelle était inscrite la phrase « MAKE AMERICA GREAT AGAIN », le slogan de la campagne électorale de Donald Trump. L’incident a attiré l’attention des médias et suscité les critiques du public à l’encontre du juge Zabel. Le 15 novembre 2016, le juge Zabel a présenté des excuses et a reconnu qu’il n’aurait pas dû porter la casquette au tribunal.
- 81 plaintes concernant la conduite du juge Zabel ont Ă©tĂ© dĂ©posĂ©es après l’incident. ConformĂ©ment Ă l’article 51.6 de la Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.O. 1990, ch. 43 (la « Loi »), notre comitĂ© d’audition du Conseil de la magistrature de l’Ontario (le « Conseil ») a Ă©tĂ© constituĂ© pour entendre les allĂ©gations d’inconduite de la part du juge
- Les faits ayant donné naissance aux plaintes ne sont pas réellement contestés. Les faits essentiels sont décrits dans l’exposé des faits conjoint signé par l’avocat chargé de la présentation et le juge Zabel. À l’audience, le juge Zabel a témoigné et deux témoins additionnels ont été appelés pour son compte. Les 81 plaintes, un recueil d’articles et d’opinions médiatiques, 63 lettres et deux cartes écrites à l’appui du juge Zabel ont été remis au comité d’audition.
- Le juge Zabel avoue que ses actes étaient contraires à la norme de conduite attendue d’un juge et contraires aux Principes de la charge judiciaire des juges de la Cour de justice de l’Ontario, établis et approuvés en vertu de l’article 51.9 de la Loi. Le juge Zabel reconnaît également que sa conduite constitue une inconduite judiciaire qui justifie l’imposition d’une ou de plusieurs des sanctions énumérées au paragraphe 51.6 (11).
FAITS
- Le juge Zabel est juge de la Cour de justice de l’Ontario, assigné à présider dans la région du Centre-Ouest. Le juge Zabel, âgé maintenant de 69 ans, a immigré au Canada d’Allemagne, lorsqu’il était enfant, en 1953. Dans son témoignage, il s’est décrit comme un réfugié du communisme. Il a été nommé à la Cour de justice de l’Ontario, le 2 avril 1990, et a siégé comme juge à Hamilton pendant 27 ans. Avant sa nomination à la magistrature, il a exercé le droit pénal et le droit de la famille pendant 11 ans. Le juge n’a pas aucun antécédent d’inconduite judiciaire. Le dossier devant nous démontre que le juge est profondément respecté par ses collègues de la magistrature et par le barreau de Hamilton, et qu’il est considéré comme un juge professionnel, travailleur, équitable et impartial.
Faits du 9 novembre 2016
- Le juge Zabel a expliqué dans son témoignage qu’il avait commandé d’Amazon, en juin 2016, six casquettes rouges portant sur le devant le slogan « MAKE AMERICA GREAT AGAIN », en lettres blanches. Ces casquettes étaient un article promotionnel lié à la campagne électorale présidentielle de Donald Trump. Lorsque le juge Zabel a acheté les casquettes, Donald Trump était en voie d’obtenir la nomination du Parti républicain, mais il n’était pas anticipé qu’il remporte les élections. Le juge Zabel a retourné une des casquettes qui était défectueuse, en a donné quatre à des amis et en a placé une dans le tiroir de son bureau. Il a déclaré dans son témoignage qu’il avait acheté les casquettes comme souvenir historique et pas en signe de soutien pour le candidat Trump. Il a également ajouté qu’il a un portrait de l’ancien président John F. Kennedy dans son bureau.
- Le juge Zabel a expliqué qu’il avait une fois porté la casquette dans la salle commune des juges. Ses collègues avaient rigolé et il a remis la casquette dans son tiroir. À l’approche de la fin de la campagne électorale présidentielle, le juge Zabel a commencé à croire que Trump allait probablement remporter la présidence.
- Le 8 novembre 2016, le jour des élections présidentielles aux États-Unis, le juge Zabel a regardé en direct les résultats des élections, jusque tard dans la nuit.
- Le juge Zabel a affirmé dans son témoignage que le matin du 9 novembre 2016, il était sûr que les personnes se trouvant dans la salle d’audience commenteraient la victoire surprenante de Trump. Il a indiqué qu’il voulait « ajouter un peu d’humour en entamant la journée avec la casquette, qui m’allait très mal – j’avais l’air un peu bête avec ». Il a porté sa casquette « MAKE AMERICA GREAT AGAIN » en quittant son cabinet. En route vers la salle d’audience, il a rencontré deux collègues juges, les juges Culver et Agro. Les deux juges ont critiqué le fait qu’il allait entrer dans la salle d’audience avec la casquette. La juge Agro a déclaré dans son témoignage qu’elle lui avait dit : « Tu es devenu fou? » Le juge Zabel a répondu qu’il portait la casquette pour faire une blague, pour marquer un moment historique.
- Il y avait plusieurs affaires pénales sur la liste du juge Zabel et dix avocats ont plaidé devant lui au cours de la matinée. Des membres du public et du personnel du tribunal étaient également présents dans la salle d’audience. Quelques rires ont éclaté lorsque le juge Zabel a pénétré dans la salle d’audience avec sa casquette. Après que le greffier a annoncé que le tribunal était en session, le juge Zabel a déclaré : « En célébration d’une nuit historique aux États-Unis. Sans précédent. » Il a retiré sa casquette et l’a placée sur le podium, le slogan « MAKE AMERICA GREAT AGAIN » visible de tous ceux qui se trouvaient dans la salle d’audience. L’avocat de la Couronne a répondu « Oui ». l’un des avocats de la défense, Michael Wendl, a déclaré : « J’aurais dû porter mon t-shirt, Votre Honneur. »
- Le juge Zabel est passé à la première affaire figurant sur sa liste. M. Wendl représentait l’accusé. Il a relevé que la date proposée était le jour de l’inauguration aux États-Unis. Le juge Zabel a répondu : « Quand est-ce? Avez-vous l’intention de vous y rendre, M. Wendl? » Ce dernier a répondu : « Je n’irai pas aux États-Unis pendant quatre ans, Votre Honneur. » Le juge Zabel a alors rétorqué : « Oh, je ne vais pas intervenir dans ce débat. »
- Le juge Zabel a ensuite traité plusieurs affaires, d’une façon habituelle, sans autre incident ou mention de la casquette. Cinq accusés ont inscrit des plaidoyers de culpabilité. Contrairement aux rapports médiatiques, le juge Zabel a pris la casquette lorsqu’il a quitté la salle d’audience pour la pause du matin et, après la pause, il ne portait plus la casquette ni ne l’avait ramenée avec lui.
- À l’heure du lunch, le juge Zabel avait terminé les dossiers sur sa liste. Il a demandé au greffier de voir si un autre juge avait besoin d’aide et on lui a répondu que non. Le juge Zabel a ajourné sa session jusqu’après le lunch pour vérifier une dernière fois si un autre juge avait besoin de son aide.
- Il est retourné dans la salle d’audience à 14 h 20 et a été informé qu’aucun autre juge n’avait besoin d’aide. Le greffier a dit « Levez-vous » et alors que le juge Zabel quittait la salle d’audience, le procureur de la Couronne a fait observer : « Vous avez perdu votre casquette. » Quelques rires se sont fait entendre. Le juge Zabel a répondu : « Brève comparution pour la casquette. J’ai énervé le reste des juges parce qu’ils ont tous voté pour Hillary, alors [sic]. J’étais le seul sympathisant de Trump ici, mais ça va. » Le juge°Zabel a précisé dans son témoignage qu’il ne voulait pas dire qu’il était un sympathisant de Trump, mais qu’il était le seul parmi ses collègues à prédire que Trump allait gagner.
- Nous n’acceptons pas l’argument du juge Zabel, selon lequel cet échange devrait être considéré comme un échange « confidentiel » avec des avocats de la Couronne. Même si le tribunal avait terminé ses instances pour la journée, le juge Zabel se trouvait encore dans la salle d’audience et il portait la toge. Il était attendu de lui qu’il se conduise d’une façon digne d’un juge.
Les faits du 15 novembre 2016
- Le vendredi 11 novembre 2016, le Globe and Mail a publié un article relatant ce qui s’était passé dans la salle d’audience du juge Zabel, le 9 novembre. L’article du Globe and Mail mentionnait que Kim Stanton, directrice juridique du Fonds d’action et d’éducation juridiques pour les femmes (« LEAF »), avait exprimé sa crainte profonde que le juge Zabel s’était déclaré sympathisant de la campagne de Trump. Mme Stanton a révélé qu’elle était préoccupée par la capacité du juge Zabel de remplir ses fonctions de juge équitable, car Trump avait formulé des commentaires dérogatoires envers les femmes pendant sa campagne, qu’il avait proposé une interdiction temporaire de l’entrée des Musulmans aux États-Unis et la déportation des immigrants illégaux, et qu’il prévoyait de construire un mur le long de la frontière mexicaine. Un avocat musulman aurait même déclaré qu’un grand nombre de ses coreligionnaires craindraient de subir des préjugés s’ils devaient comparaître devant le juge Zabel. Le doyen de l’Osgoode Hall Law School aurait quant à lui indiqué que l’incident ne constituait pas une inconduite, mais qu’il nécessitait un avertissement. Un pénaliste proéminent a fait observer que le juge Zabel était un bon juge et que l’affaire devrait être réglée à l’interne.
- Le juge Zabel a déclaré dans son témoignage que l’article du Globe and Mail a été, pour lui, le premier signe que ses actes avaient suscité des préoccupations. Il a affirmé avoir été « surpris et choqué de la réaction à ma blague de mauvais goût » et qu’il avait écouté l’enregistrement des instances de la journée.
- Le mardi 15 novembre 2016, son premier jour au tribunal après la parution de l’article dans le Globe and Mail, le juge Zabel est entré dans la salle d’audience, a remarqué qu’il y avait des membres de la presse présents et a fait la déclaration suivante :
C’est la première fois que je préside des instances depuis la parution de l’article du Globe and Mail, le vendredi 11 novembre, qui rapportait que le mercredi 9 novembre j’avais ouvert la session en portant une casquette arborant le slogan de la campagne de M. Trump. Les faits relatés dans l’article étaient corrects, sauf que je ne suis pas retourné dans la salle d’audience avec la casquette après la pause du matin.
J’ai commis une erreur. Je tiens à présenter mes excuses pour ma tentative maladroite de marquer avec humour un moment historique dans la salle d’audience, après les résultats surprenants des élections présidentielles aux États-Unis. Je n’avais aucunement l’intention de faire une déclaration politique ou d’endosser des opinions politiques, et en particulier, les opinions et commentaires de Donald Trump. Je regrette profondément que telle ait été la perception de mes actes maladroits. Je reconnais que le port de la casquette a enfreint les Principes de la charge judiciaire et constitué un manque de jugement de ma part, ce que je regrette sincèrement. Je présente mes excuses au public que je sers, à l’institution que je représente, à mes collègues de la magistrature, aux avocats et à tous ceux et celles qui servent l’administration de la justice. Je continuerai humblement de traiter toutes les personnes qui comparaissent devant moi avec équité et impartialité comme je le fais depuis ma nomination à cette Cour honorable, en 1990.
Les plaintes
- Après la couverture médiatique des faits du 9 et du 15 novembre 2016, le Conseil a reçu 81 plaintes relatives à la conduite du juge Zabel. Les plaintes provenaient d’organismes d’intérêt public, de professeurs de droit, d’avocats, de parajuristes et de membres du public. Neuf plaintes provenaient d’organismes de juristes : LEAF, l’Association du barreau de l’Ontario, la Canadian Bar Association of Black Lawyers, la Criminal Lawyers’ Association, la South Asian Bar Association of Toronto, la Canadian Muslim Lawyers Association conjointement avec la Canadian Association of Muslim Women in the Law, la Rights Advocacy Coalition for Equality, la HIV & Aids Legal Aid Clinic of Ontario conjointement avec le Canadian HIV/AIDS Legal Network, et la Roundtable of Diversity Associations.
- Toutes ces plaintes évoquaient le même problème : la conduite du juge Zabel constituait une expression inacceptable d’opinions politiques partisanes par un juge. La plupart des plaignants se sont déclarés très inquiets, car ils ont perçu la plupart des propos que Trump a exprimés pendant sa campagne comme étant des propos misogynes, racistes, homophobes et antimulsulmans. Les plaignants ont fait valoir que le juge Zabel s’était associé à ces propos par ses actes et qu’il était raisonnable que des femmes et des membres de groupes vulnérables craignent de ne pas être traités équitablement et impartialement par le juge Zabel.
- Aucune de ces plaintes ne provenait de personnes qui se trouvaient dans la salle d’audience du juge Zabel, le 9 novembre 2016, et qui comptaient des représentants du procureur général provincial et du procureur général fédéral. Michael Wendl, l’un des avocats de la défense qui se trouvait devant le juge Zabel ce jour-là , est l’auteur de l’une des nombreuses lettres de soutien déposées. Il a décrit le juge Zabel comme « le paradigme du secteur judiciaire » et a précisé :
Je me trouvais dans la salle d’audience le jour de l’incident de la casquette. Je pense que le juge Zabel blaguait. En fait, j’ai blagué avec lui. Je pense que la conduite du juge Zabel découlait probablement de l’atmosphère collégiale qui règne à Hamilton. Je n’ai aucune crainte de me retrouver devant le juge Zabel. Je ne doute absolument pas de son impartialité ni de sa capacité de tenir une audience équitable.
Instances du Conseil de la magistrature de l’Ontario
- En décembre 2016, le juge principal régional a suspendu le juge Zabel avec rémunération, en vertu du paragraphe 51.4 (8) de la Loi sur les tribunaux judiciaires, sur recommandation d’un sous-comité des plaintes du Conseil de la magistrature de l’Ontario, en attendant le règlement des plaintes contre lui.
- Conformément à sa procédure de plaintes, le Conseil de la magistrature de l’Ontario a remis au juge Zabel des copies des plaintes et lui a donné la possibilité d’y répondre. Par l’intermédiaire de son avocat, le juge Zabel a répondu très brièvement et déclaré qu’il avait fait des excuses publiques le 15 novembre 2016, qu’il regrettait ses actes et qu’il attendait avec impatience de reprendre ses fonctions judiciaires.
- Le sous-comité des plaintes a ordonné que les plaintes fassent l’objet d’une audience en vertu de l’article 51.6 de la Loi sur les tribunaux judiciaires. L’avocat chargé de la présentation a signifié et déposé un avis d’audience résumant les faits du 9 et du 15 novembre 2016, et soutenant que les actes du juge Zabel étaient contraires à la norme de conduite attendue d’un juge, qu’ils avaient porté atteinte à la confiance du public envers l’administration de la justice, qu’ils avaient compromis la perception publique de l’indépendance des magistrats par rapport à la politique et qu’ils constituaient une expression de ses opinions politiques et des opinions politiques de ses collègues. Il est également allégué que l’explication formulée par le juge, le 15 novembre, ne correspondait pas aux commentaires qu’il a exprimés au tribunal, le 9 novembre. L’avis d’audience affirme que les actes du juge Zabel constituent une inconduite judiciaire qui justifie une mesure en vertu du paragraphe 51.6 (11) de la Loi afin de préserver la confiance du public envers la magistrature.
ANALYSE
Inconduite judiciaire
- Notre comité d’audition doit décider en premier si les actes du juge Zabel constituent une inconduite judiciaire. En fonction de l’exposé conjoint des faits, des aveux du juge Zabel et des témoignages additionnels que nous avons entendus, nous sommes convaincus que c’est bien le cas.
- Les juges canadiens doivent respecter une norme élevée. Dans l’arrêt Re Therrien, 2001 CSC 35, [2001] 2 R.C.S. 3, au para. 108, la Cour suprême du Canada a décrit la charge judiciaire comme « tout à fait unique ». Les juges règlent des différends, déterminent des droits et défendent les droits et libertés fondamentaux garantis par la Charte canadienne des droits et libertés. Comme la Cour suprême l’a rappelé au para. 109, le juge « constitue le pilier de l’ensemble du système de justice ».
- Maintenir la confiance dans la magistrature est essentiel à notre forme de gouvernement démocratique. Cela signifie que « la population exigera donc de celui qui exerce une fonction judiciaire une conduite quasi irréprochable » et que le juge « devra être et donner l’apparence d’être un exemple d’impartialité, d’indépendance et d’intégrité » : Re Therrien, au para. 111.
- La séparation entre la fonction politique et la fonction judiciaire est un des piliers de la règle de droit et de notre système démocratique de gouvernement. L’un des principes fondamentaux de notre système de justice est l’indépendance de la magistrature par rapport à la politique. Les juges doivent sans exception se tenir éloignés de la scène politique et se conduire de façon à éviter toute perception que l’administration de la justice est influencée par leurs opinions politiques. Les citoyens doivent sentir que le juge décidera de leur destin en se fondant sur les lois et les éléments de preuve. L’expression de ses opinions politiques par un juge, en particulier dans la salle d’audience, va à l’encontre de ces valeurs fondamentales.
- Ces principes sont bien connus et clairement exposés dans les directives de déontologie des juges. Les Principes de la charge judiciaire applicables aux juges de la Cour de justice de l’Ontario prévoient ce qui suit :
3.1 Les juges doivent adopter une conduite qui inspire la confiance du public.
3.2 Les juges doivent éviter tout conflit d’intérêts, ou toute apparence de conflit d’intérêts, dans l’exercice de leurs fonctions judiciaires.
Commentaires
Les juges ne doivent participer à aucune activité partisane.
Les juges ne doivent contribuer financièrement à aucun parti politique.
- Les Principes de déontologie judiciaire du Conseil canadien de la magistrature contiennent un libellé semblable, à la page 28 : « Toutes les activités et relations politiques de nature partisane doivent cesser totalement et sans aucune équivoque dès l’entrée en fonction ». Les juges doivent s’abstenir « de toute activité susceptible de donner à une personne raisonnable, impartiale et bien informée, l’impression qu’ils sont activement engagés en politique ».
- Le juge Zabel n’a fait aucun commentaire sur la politique canadienne et les Canadiens n’ont aucune influence sur les élections américaines et ne peuvent pas voter pour des élections américaines. Néanmoins, étant donné notre proximité avec les États-Unis et l’impact énorme que notre puissant voisin a sur nos vies quotidiennes, nous, Canadiens, nous intéressons vivement à la politique américaine. Notre bien-être économique et notre sentiment de paix et de sécurité dépendent en partie du président des États-Unis. Les Canadiens ont des opinions très fermes sur qui devrait être élu à cette fonction.
- La campagne présidentielle électorale des États-Unis de 2016 était très partisane et amère. Les candidats professaient des politiques entièrement opposées. Un grand nombre des positions de Trump étaient provocatrices et controversées. Si ses politiques sur des sujets comme le libre-échange, le changement climatique, l’immigration et la sécurité nationale, étaient adoptées, elles auraient des conséquences sur la vie quotidienne de nombreux Canadiens. Ses opinions ont suscité beaucoup d’intérêt au Canada et un grand nombre de Canadiens ont exprimé leur profond désaccord avec ses politiques. On a souvent affirmé que les politiques de Trump étaient contraires aux intérêts du Canada et aux valeurs fondamentales canadiennes. De nombreux citoyens du Canada estiment que les opinions de Trump sur les femmes, les minorités racialisées et d’autres groupes vulnérables sont offensives. Il est normal qu’un juge qui semble endosser les opinions de Trump soit perçu par le public comme exprimant une opinion sur des questions qui revêtent une grande importance pour les Canadiens.
- Le juge Zabel insiste sur le fait qu’il n’avait pas l’intention de démontrer son soutien pour Donald Trump. Il a expliqué dans son témoignage qu’il voulait faire une blague au sujet d’un résultat que peu de gens attendaient et qu’au lieu d’exprimer son soutien pour Trump, il célébrait plutôt sa prédiction que Trump allait remporter les élections.
- Bien que les intentions du juge Zabel soient pertinentes, sa conduite doit être évaluée selon des critères objectifs. Comme le déclare le Conseil canadien de la magistrature à la page 27 de ses Principes de déontologie judiciaire : « L’apparence d’impartialité doit être évaluée en fonction de la perception d’une personne raisonnable, impartiale et bien informée. »
- Que penserait une personne raisonnable en voyant le juge Zabel entrer dans la salle d’audience en portant la casquette rouge signature de Trump avec le slogan « MAKE AMERICA GREAT AGAIN » et l’entendre dire qu’il a porté la casquette en « célébration d’un événement historique »? À notre avis, et en fait comme le juge Zabel le reconnaît maintenant, une personne raisonnable penserait que le juge Zabel faisait une déclaration politique et endossait la campagne de Donald Trump.
- Nous sommes d’accord avec les observations de l’avocat chargé de la présentation selon lesquelles la décision de 2016 du président du Comité de la conduite des juges du Conseil canadien de la magistrature de ne pas traiter une plainte contre un juge qui portait un t-shirt de Trump pendant qu’il faisait des achats se distingue de l’affaire devant nous. Dans cette affaire, les faits se sont passés hors du tribunal, rien n’indiquait au public que la personne qui portait le t-shirt était un juge, le juge n’a rien dit qui pourrait indiquer ses sympathies pour Trump et apparemment il avait enfilé le t-shirt au début de la journée et est sorti faire ses achats sans réfléchir à ce qu’il portait.
- Nous n’hésitons pas à conclure que les actes du juge Zabel constituent une violation grave des normes de conduite judiciaire et de l’administration de la justice, qui justifie l’une des mesures prévues au paragraphe 51.6 (11) de la Loi.
Mesure appropriée
- Cela nous amène à l’aspect le plus difficile que nous devons trancher : quelle est la mesure appropriée dans les circonstances de l’affaire?
- Le paragraphe 51.6 (11) définit les sanctions que notre comité d’audition peut imposer afin de restaurer la confiance du public dans l’administration de la justice :
- donner un avertissement au juge;
- réprimander le juge;
- ordonner au juge de présenter des excuses au plaignant ou à toute autre personne;
- ordonner que le juge prenne des dispositions précises, telles suivre une formation ou un traitement, comme condition pour continuer de siéger à titre de juge;
- suspendre le juge, avec rémunération, pendant une période quelle qu’elle soit;
- suspendre le juge, sans rémunération mais avec avantages sociaux, pendant une période maximale de trente jours;
- recommander au procureur général la destitution du juge conformément à l’article 51.8.
- Le paragraphe 51.6 (12) prĂ©voit que notre ordonnance peut adopter toute combinaison de ces mesures, sauf qu’une recommandation au procureur gĂ©nĂ©ral que le juge soit destituĂ© ne peut pas ĂŞtre combinĂ©e Ă une autre mesure.
- La décision prise dans l’affaire Re Chisvin, (CMO, 26 novembre 2012), au para. 38, contient une liste des facteurs à prendre en considération pour évaluer la sanction appropriée en cas d’inconduite judiciaire :
- Si l’inconduite est un incident isolĂ© ou si elle s’inscrit dans une suite d’inconduites;
- La nature, l’Ă©tendue et la frĂ©quence des actes d’inconduite;
- Si la conduite s’est produite Ă l’intĂ©rieur ou Ă l’extĂ©rieur de la salle d’audience;
- Si l’inconduite a eu lieu dans l’exercice des fonctions du juge ou dans sa vie privĂ©e;
- Si le juge a reconnu que les faits ont eu lieu;
- Si le juge a démontré des efforts en vue de modifier ou corriger sa conduite;
- La durée de service du juge comme magistrat;
- Si des plaintes ont déjà été déposées par le passé contre le juge;
- Les rĂ©percussions de l’inconduite sur l’intĂ©gritĂ© et le respect de la magistrature;
- La mesure dont le juge a profité de sa position pour satisfaire des désirs personnels.
- Outre ces facteurs, nous devons également tenir compte de deux principes énoncés dans la décision Re Baldwin, (CMO, 10 mai 2002), qui devraient guider le choix de la mesure ou sanction appropriée.
- Le premier principe est que l’objet d’une instance pour inconduite judiciaire est principalement de « nature rĂ©paratrice ». Lorsqu’il dĂ©termine la sanction indiquĂ©e, le Conseil doit se focaliser sur ce qui est necessaire « pour restaurer la perte de confiance du public Ă la suite de l’inconduite judiciaire en cause ». L’objectif n’est pas de punir le juge, mais plutĂ´t de rĂ©parer toute atteinte Ă l’intĂ©gritĂ© et Ă la reputation de l’administration de la justice.
- Le deuxième principe est la proportionnalitĂ©. La dĂ©cision Re Baldwin explique que le « Conseil devrait envisager en premier lieu la mesure la moins grave – un avertissement – et continuer Ă examiner l’opportunitĂ© de chaque mesure par ordre croissant de gravitĂ© jusqu’Ă la plus grave – une recommandation de destitution – en n’ordonnant que la mesure nĂ©cessaire pour rĂ©tablir la confiance du public envers le juge et l’administration de la justice en gĂ©nĂ©ral » [TRADUCTION]
- En l’espèce, il y a des facteurs atténuants et des facteurs aggravants.
- Les facteurs aggravants sont le fait que l’inconduite judiciaire s’est produite dans la salle d’audience, alors que le juge Zabel remplissait ses fonctions officielles. Comme nous l’avons déjà fait observer, nous considérons l’inconduite comme grave. Elle enfreint les principes fondamentaux selon lesquels les juges ne doivent pas exprimer leurs opinions politiques et l’administration de la justice doit demeurer distincte du débat politique. La conduite du juge Zabel a attiré l’attention des médias, du public et des juristes. Elle a terni la réputation de la justice dans notre province.
- Toutefois, il y a quelques facteurs atténuants.
- Le juge Zabel a reconnu avoir violé la norme de conduite judiciaire attendue des juges. Il a présenté ses excuses publiquement le 15 novembre et s’est à nouveau excusé devant notre comité d’audition : « J’aimerais déclarer au comité d’audition que j’ai beaucoup de peine à trouver les mots justes pour exprimer mon profond regret pour ce que j’ai fait ce jour-là et les conséquences de mes actes sur l’administration de la justice. J’ai agi d’une façon irréfléchie, inconsidérée et j’ai bien entendu retiré les leçons de ce qui s’est passé. » Il a ajouté qu’il comprenait pourquoi sa tentative de faire de l’humour avait été interprétée par de nombreux Ontariens comme l’endossement de la candidature de Donald Trump et une expression de son soutien à ses opinions controversées. Le juge Zabel a également convenu que sa conduite avait eu des conséquences préjudiciables sur l’administration de la justice.
- Cela étant dit, nous sommes d’accord avec les observations de l’avocat chargé de la présentation sur le caractère adéquat des excuses du juge Zabel du 15 novembre. Dans sa déclaration d’excuses, le juge Zabel a répété que sa conduite constituait une tentative maladroite de faire de l’humour et qu’il n’avait pas eu l’intention de démontrer son soutien pour les opinions de Donald Trump. Quelles qu’aient été les intentions du juge Zabel, ses propos prononcés lorsqu’il est entré dans la salle d’audience le 9 novembre, expliquant qu’il portait la casquette « en célébration d’un événement historique », et ses propos prononcés à la fin de la journée, lorsqu’il a quitté le tribunal, précisant qu’il était le seul partisan de Trump parmi ses collègues de la magistrature, allaient bien évidemment être interprétés comme une expression de soutien pour la campagne de Donald Trump.
- Nous sommes aussi d’accord avec les observations de l’avocat chargé de la présentation selon lesquelles le juge Zabel aurait dû expressément s’excuser d’avoir attribué des opinions politiques à ses collègues, lorsqu’il a affirmé qu’ils avaient « voté » pour Hillary Clinton. Il a écouté l’enregistrement de l’instance du 9 novembre avant sa déclaration du 15 novembre et il aurait dû inclure des excuses pour cet aspect de sa conduite.
- Cependant, nous sommes convaincus que le juge Zabel comprend maintenant que sa conduite a été perçue comme une expression de soutien pour un candidat politique controversé en dépit des intentions qu’il a pu avoir lorsqu’il a porté la casquette dans le tribunal. Il comprend que sa conduite était inacceptable et indigne de la norme de conduite attendue d’un juge. Il regrette profondément son comportement du 9 novembre et nous sommes convaincus qu’il n’y a aucun risque qu’il se conduise d’une façon semblable à l’avenir.
- Nous sommes également convaincus que le juge Zabel a fait des efforts pour améliorer sa conduite. Il a tenté de suivre un cours sur l’éthique judiciaire et lorsqu’il a appris que le cours n’était pas offert en 2017, il a demandé au juge James Turnbull, membre chevronné de la Cour supérieure de justice, de lui dispenser un cours privé sur le matériel préparé pour le cours. Le juge Turnbull a écrit une lettre de soutien indiquant la nature de son mentorat envers le juge Zabel et affirmant qu’il est convaincu que le juge Zabel comprend très bien les principes de déontologie applicables aux juges et le fait que sa conduite ait violé ces principes. Le juge Turnbull a conclu sa lettre en déclarant qu’il était sûr que le juge Zabel ne fera plus jamais l’objet d’une plainte au CMO pour violation des normes d’éthique judiciaire.
- Cela nous conduit à ce que nous considérons comme le facteur atténuant le plus important – les 27 années de service exemplaire et irréprochable du juge Zabel à la magistrature. Il n’a jamais fait l’objet d’une instance du Conseil. Il ressort clairement des 63 lettres de soutien provenant de ses collègues magistrats, d’avocats, de personnel du tribunal et de membres du public qu’il jouit d’une réputation enviable comme juge hautement professionnel, compétent, courtois, équitable et humain.
- Le juge Zabel est loué pour son travail, son professionnalisme, son intégrité et son désir d’aider les autres juges et les avocats. Les jeunes avocats parlent en termes élogieux de son aide et de ses encouragements. La présidente de la Hamilton Criminal Lawyers’ Association affirme que son groupe n’appuie pas la plainte de la Criminal Lawyers’ Association, qu’elle a souvent représenté des clients devant le juge Zabel et qu’elle l’a toujours trouvé équitable et impartial. Des collègues de sexe féminin soutiennent qu’il les encourageait toujours lorsqu’elles travaillaient comme avocates et qu’il les soutient beaucoup depuis qu’elles l’ont rejoint à la magistrature. D’autres juges et des avocats insistent sur le fait qu’il est un juge ouvert et impartial, qui ne démontre pas des opinions polarisées, misogynes, racistes ou homophobes.
- La juge Marjoh Agro a témoigné devant notre comité d’audition. Elle a expliqué que le juge Zabel l’avait aidée lorsqu’elle était une avocate débutante, à une époque où il y avait très peu d’avocates plaidantes à Hamilton. Il l’a encouragée à postuler pour un poste de magistrate et l’a soutenue depuis sa nomination. Elle reconnaît que le juge Zabel a commis une erreur grave, mais elle est impatiente de le voir reprendre sa place à la magistrature.
- Lidia Narozniak, procureure adjointe de la Couronne à la retraite, a déclaré dans son témoignage qu’elle avait poursuivi de nombreuses affaires difficiles devant le juge Zabel, qui portaient sur des cas de violence familiale, de violence envers les enfants et d’agressions sexuelles et mettaient en jeu des accusés, des plaignants et des témoins de divers niveaux socio-économiques, nationalités, races, orientations sexuelles et identités sexuelles. Elle n’a jamais senti une once de racisme, sexisme, misogynie ou partialité chez le juge Zabel. Elle a fait observer dans son témoignage que le juge Zabel traitait toujours tous ceux qui comparaissaient devant lui avec courtoisie et respect. Ces commentaires se retrouvent dans de nombreuses autres lettres de soutien, y compris des lettres d’un avocat sud-asiatique et de plusieurs avocates.
- Un certain nombre de plaintes évoquent la crainte de plaideurs qui sont susceptibles de faire l’objet de discrimination fondée sur le sexe, la race, le handicap, l’orientation sexuelle, l’origine nationale ou le statut d’immigration. Elles indiquent que Donald Trump a fait des déclarations hautement médiatisées qui paraissent refléter des opinions misogynes, racistes, anti-musulmanes, anti-immigrantes et homophobes, contraires aux valeurs canadiennes. Les plaignants soutiennent que des plaideurs susceptibles de souffrir de discrimination craindront de ne pas être traités équitablement par un juge qui a exprimé son soutien à la candidature de Donald Trump.
- Nous sommes confrontés à un contraste saisissant entre la perception créée par l’incident du 9 novembre et la réalité d’un juge chevronné et équitable. La conduite du juge Zabel ce jour-là a été perçue par de nombreuses personnes comme une marque de soutien à Trump et de sympathie envers les opinions et politiques de Trump. De ce point de vue, il a violé un principe fondamental d’éthique judiciaire et, en particulier étant donné la controverse suscitée par la campagne de Donald Trump, il a commis une inconduite grave lorsqu’il a porté la casquette « MAKE AMERICA GREAT AGAIN » au tribunal, le 9 novembre 2016.
- Cependant, nous devons tenir compte du caractère réel du juge Zabel. Sa conduite du 9 novembre 2016 était totalement en désaccord avec le juge exemplaire qu’il est depuis 27 ans. Nous sommes convaincus que le juge Zabel ne partage aucune des opinions discriminatoires que les plaignants attribuent à Donald Trump. Nous sommes convaincus que les membres de groupes vulnérables n’ont aucune crainte à avoir à l’égard du traitement que leur réserverait le juge Zabel. Quelle que soit l’opinion du juge Zabel au sujet des élections présidentielles des États-Unis et quelle que soit la gravité de ses actes du 9 novembre 2016, ses antécédents à la magistrature et sa réputation auprès de ses collègues magistrats et des avocats démontrent qu’il est un juge ouvert d’esprit et impartial, qui s’est engagé à respecter les normes les plus élevées de sa profession.
- Les perceptions sont importantes. Il y a une maxime bien ancrée en droit qui dit qu’«[il] est essentiel que non seulement justice soit rendue, mais que justice paraisse manifestement et indubitablement être rendue » : c. Sussex Justices; Ex parte McCarthy, [1924] 1 K.B. 256 at 259.
- Toutefois, la réalité est aussi importante. Le critère pour l’impartialité judiciaire établi par la Cour suprême du Canada consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique » : Committee for Justice and Liberty c. National Energy Board, [1978] 1 R.C.S. 369 at 394-95; et R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484, au para. L’observateur raisonnable n’est pas « de nature scrupuleuse et tatillonne » : S. (R.D.), au para. 36. Au contraire, comme une décision anglaise qui fait autorité l’a établi, l’observateur raisonnable est le « genre de personne qui réserve toujours son jugement sur chaque point jusqu’à ce qu’elle comprenne entièrement les deux côtés de l’argument » [traduction] et « qui se donne la peine de lire le texte de l’article et non seulement les gros titres »[traduction] : Helow (AP) v. Secretary of State for the Home Department and another, [2008] U.K.H.L. 62, aux paras. 2 et 3.
- Le lecteur du gros titre – « Juge porte une casquette “MAKE AMERICA GREAT AGAIN” au tribunal » – douterait fort de la capacité de ce juge d’exercer ses fonctions judiciaires d’une manière acceptable. En revanche le lecteur de la description de la longue carrière exemplaire du juge, 27 ans, de sa sensibilité à des facteurs comme la race et le sexe, et de l’absence de tout signe de préjudice ou de partialité de sa part, verrait la situation différemment.
- Le choix de la décision à prendre est difficile. D’une part, la conduite du juge Zabel du 9 novembre constitue une violation grave des principes de déontologie judiciaire et d’autre part, il est difficile d’imaginer comment ou pourquoi un juge du calibre et du niveau du juge Zabel se conduirait comme il l’a fait. En plus, il semble qu’il n’y ait aucun risque qu’il partage l’une ou l’autre des opinions politiques qu’il a semblé endosser.
- Étant donné la gravité de la conduite du juge Zabel, nous estimons qu’aucune des sanctions les moins graves – avertissement, réprimande, présentation d’excuses, mesures réparatrices ou suspension avec rémunération – n’est adéquate. Nous devons choisir entre la sanction la plus grave avant la destitution, la suspension sans rémunération pendant 30 jours, peut-être combinée à d’autres sanctions moins graves, et la recommandation de destitution.
- Dans l’affaire Re Therrien, au para. 147 (citant Martin L. Friedland, Une place Ă part: L’indĂ©pendance et la responsabilitĂ© de la magistrature au Canada : (Ottawa: 1995), la Cour suprĂŞme du Canada a citĂ© un rapport prĂ©parĂ© pour le Conseil canadien de la magistrature, aux p. 80-81) :
Aussi, avant de formuler une recommandation de destitution Ă l’endroit d’un juge, doit-on se demander si la conduite qui lui est reprochĂ©e porte si manifestement et si totalement atteinte Ă l’impartialitĂ©, Ă l’intĂ©gritĂ© et Ă l’indĂ©pendance de la magistrature qu’elle Ă©branle la confiance du justiciable ou du public en son système de justice et rend le juge incapable de s’acquitter des fonctions de sa charge (Friedland, op. cit., p. 89-91).
- Après avoir examiné attentivement la situation, nous sommes parvenus à la conclusion qu’une recommandation de destitution n’était ni appropriée ni nécessaire dans les circonstances de l’espèce.
- En l’espèce, un juge possédant des antécédents de service exemplaires et une longue carrière a commis un seul acte d’inconduite judiciaire aberrant et inexplicable. Si un membre du public raisonnable et informé examinait la conduite du juge Zabel dans le contexte de toute sa carrière et des témoignages que nous avons entendus, il ne penserait pas qu’il soit nécessaire de le destituer de sa fonction, à cause de cette seule transgression, dans le but de restaurer la confiance du public envers le système de justice. Nous ajoutons qu’en l’absence des solides preuves du long service impeccable du juge Zabel comme juge équitable et impartial, le résultat aurait pu être différent.
- Nous prenons la décision suivante.
- Nous imposons la sanction la plus grave que prévoit la loi avant la recommandation de destitution et ordonnons que le juge Zabel soit suspendu sans rémunération pendant 30 jours.
- En plus de la sanction de suspension, nous réprimandons aussi le juge Zabel pour sa violation du principe fondamental de conduite judiciaire qui interdit aux juges de se conduire d’une façon qui, de l’avis d’une personne raisonnable, ouverte et informée, risquerait de donner l’apparence que le juge exerce des activités politiques.
- Nous relevons que le juge Zabel est déjà suspendu de ses fonctions judiciaires depuis décembre 2016. Il a été profondément marqué par la honte publique qu’il s’est attirée et qu’il a attirée sur le système de justice qu’il sert. Il est fier de ses accomplissements professionnels et de ses antécédents professionnels, et il paie un prix très élevé pour sa transgression.
DÉCISION
- En conséquence, nous ordonnons ce qui suit aux termes du paragraphe 51.6 (11) de la Loi :
1. Le juge Zabel est réprimandé pour sa violation des normes de déontologie judiciaire;
2. Le juge Zabel est suspendu pendant 30 jours sans rémunération.
- Le juge Zabel, à juste titre d’après nous, n’a pas demandé d’être indemnisé des frais qu’il a engagés pour l’instance.
Date : 11 septembre 2017
Comité d’audition du Conseil de la magistrature de l’Ontario
L’honorable juge Robert Sharpe, président
Cour d’appel de l’Ontario
L’honorable juge Leslie Pringle
Cour de justice de l’Ontario
Christopher D. Bredt
Borden Ladner Gervais LLP
Avocat
Farsad Kiani
Membre du public