Juge William G. Richards

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Dans l’affaire d’une plainte concernant l’honorable juge William G. Richards

DEVANT L’honorable Dennis R. O’Connor
Juge en chef adjoint de l’Ontario
Madame la juge P. H. Marjoh Agro
William James
Patricia D. S. Jackson
AVOCAT Andrew Burns, avocat de présentation
J. J. Burke, avocat de Monsieur le juge W. G. Richards

MOTIFS DE LA DÉCISION

Cette cause porte sur une plainte portĂ©e contre Monsieur le juge Richards allĂ©guant qu’il a mis fin abusivement Ă  une poursuite criminelle qu’il prĂ©sidait. Après avoir entendu la plainte, le comitĂ© saisi de l’affaire l’a rejetĂ©e, prĂ©cisant que ses raisons suivraient. Voici les motifs de notre dĂ©cision.

Antécédents de la poursuite

Les dĂ©tails de la plainte tels qu’Ă©noncĂ©s dans l’avis d’audience sont les suivants :

1. Il est allĂ©guĂ© que le 10 juillet 1998, dans la salle d’audience 124 de l’ancien hĂ´tel de ville de Toronto, l’honorable juge William G. Richards ( » Monsieur le juge Richards « ) devait prĂ©sider et a amorcĂ© l’audition d’une affaire concernant des accusations portĂ©es contre M. Edford Providence pour avoir commis deux chefs d’accusation de menaces de prĂ©judice corporel contrairement au Code criminel.

2. M. Providence avait prĂ©cĂ©demment paru le 9 mars 1998 pour subir son procès, mais ce dernier avait Ă©tĂ© repoussĂ© parce que la Couronne n’avait pu fournir Ă  la dĂ©fense une vidĂ©ocassette de sĂ©curitĂ© montrant M. Providence Ă  proximitĂ© de la plaignante, Mme Adilman.

3. La nouvelle date du procès de M. Providence a été fixée au 10 juillet 1998.

4. Au dĂ©but de l’audience du 10 juillet 1998, l’avocat de la Couronne Robin Flumerfelt a convoquĂ© comme premier tĂ©moin Mme Anna Adilman, la plaignante au regard du premier chef d’accusation contre M. Providence.

5. L’accusation portait, inter alia, sur des menaces censĂ©ment profĂ©rĂ©es le 17 juillet 1997 par M. Providence contre Mme Adilman au magasin William Ashley oĂą celle-ci travaillait comme prĂ©posĂ©e Ă  l’accueil.

6. Ă€ l’issue de l’interrogatoire principal de Mme Adilman par M. Flumerfelt, l’avocat de M. Providence, M. George N. Carter, a commencĂ© Ă  contre-interroger Mme Adilman.

7. Au dĂ©but de son contre-interrogatoire, M. Carter a dĂ©clarĂ© qu’il souhaitait visionner une vidĂ©ocassette de sĂ©curitĂ© enregistrĂ©e dans le magasin William Ashley oĂą Mme Adilman travaillait au moment oĂą ont eu lieu les Ă©vĂ©nements qui ont menĂ© aux accusations contre M. Providence.

8. Après que M. Carter eut dĂ©clarĂ© qu’il avait besoin de la vidĂ©ocassette pour contre-interroger Mme Adilman, Monsieur le juge Richards a affirmĂ© qu’il s’agissait de la vidĂ©ocassette de la Couronne et que celle-ci avait dĂ©cidĂ© de ne pas la communiquer.

9. Après que M. Carter eut expliquĂ© qu’il dĂ©sirait utiliser la vidĂ©ocassette dans le cadre de son contre-interrogatoire, Monsieur le juge Richards est prĂ©sumĂ© avoir dĂ©clarĂ© :  » D’accord. Installez-la et nous allons la regarder. Je savais que cela… bon, commencez votre contre-interrogatoire pendant qu’on l’installe.  »

10. Durant le contre-interrogatoire, M. Flumerfelt s’est opposĂ© deux fois Ă  ce qu’il ne se passait rien sur la vidĂ©ocassette. M. Carter a poursuivi son contre-interrogatoire.

11. Le contre-interrogatoire s’est poursuivi pendant quelque temps, puis Ă  11 h 30 environ, Monsieur le juge Richards a interrompu M. Carter et a demandĂ© Ă  l’agent de police qui s’occupait de l’Ă©quipement vidĂ©o d’Ă©teindre le lecteur de bande magnĂ©toscopique.

12. Après avoir demandĂ© que l’on Ă©teigne l’appareil, Monsieur le juge Richards est censĂ© avoir prononcĂ© les paroles suivantes :  » On avait prĂ©vu une journĂ©e pour cette affaire. Je ne peux ĂŞtre saisi. C’est ma dernière journĂ©e Ă  Toronto. Je ne vais pas l’entendre. De toute Ă©vidence, j’ai dĂ©jĂ  traitĂ© avec l’avocat de la dĂ©fense et il est très consciencieux et je suis persuadĂ© que je ne pourrais pas terminer aujourd’hui si je l’entendais… par consĂ©quent, je vais radier la plainte et interrompre la poursuite et… la renvoyer devant le tribunal d’origine…  »

13. Il est prĂ©tendu que M. Providence est restĂ© devant Monsieur le juge Richards moins d’une demi-heure.

14. Il est prĂ©tendu que Monsieur le juge Richards n’a pas demandĂ© Ă  l’avocat de la Couronne ni Ă  M. Carter combien de tĂ©moins ils entendaient convoquer et qu’il a entendu deux longs arguments avant de dĂ©cider d’interrompre la poursuite.

15. La conduite susmentionnĂ©e est incompatible avec l’exĂ©cution convenable des fonctions de l’honorable juge William G. Richards.

La plainte a Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©e par M. Providence et son avocat, M. Carter. En vertu des articles 51.4 (18) et 51.6 de la Loi sur les tribunaux judiciaires (la  » Loi  » ), le Conseil de la magistrature de l’Ontario (le  » Conseil « ) a ordonnĂ© Ă  un comitĂ© du Conseil d’entendre la plainte. ConformĂ©ment aux procĂ©dures du Conseil, Ă©tablies en vertu de la Loi, une plainte est renvoyĂ©e Ă  une audience lorsqu’il y a eu allĂ©gation d’une inconduite judiciaire ayant un fondement en fait qui, s’il est acceptĂ© par le juge des faits, peut mener Ă  une constatation d’inconduite judiciaire. Une telle audience est menĂ©e par un comitĂ© Ă©tabli en vertu des articles 49 (16) et (17) de la Loi.

En vertu des articles 49.11 et 51.6 (7) de la Loi, les audiences sur des plaintes du Conseil de la magistrature sont ouvertes au public Ă  moins que le comitĂ© ne dĂ©termine conformĂ©ment aux critères Ă©noncĂ©s Ă  l’article 51.1 (1) de la Loi que des circonstances exceptionnelles existent et que les avantages du maintien du caractère confidentiel l’emportent sur ceux de la tenue d’une audience publique. Personne n’a suggĂ©rĂ© la prĂ©sence de circonstances exceptionnelles dans la prĂ©sente affaire. Par consĂ©quent, l’audience a eu lieu en public.

Les faits

Monsieur le juge Richards a convenu que les détails susmentionnés étaient substantiellement corrects. La transcription des débats tenus devant Monsieur le juge Richards le 10 juillet a été déposée en preuve et confirme le détail de la plainte.

L’avocat de Monsieur le juge Richards a dĂ©crit d’autres faits applicables aux Ă©vĂ©nements qui entourent la plainte. Ces faits n’ont pas Ă©tĂ© contestĂ©s et nous acceptons leur vĂ©racitĂ©.

Monsieur le juge Richards est juge mandatĂ© sur une base journalière, c’est-Ă -dire qu’il est retraitĂ© mais qu’en vertu d’un dĂ©cret en conseil, il est autorisĂ© Ă  siĂ©ger en tant que juge et Ă  recevoir des honoraires journaliers pour un nombre fixe de jours durant l’annĂ©e. Il n’est pas affectĂ© en permanence Ă  une compĂ©tence particulière et un administrateur central contrĂ´le ses affectations.

Le jour en question, il avait Ă©tĂ© affectĂ© pour une seule journĂ©e Ă  l’ancien HĂ´tel de ville. Au milieu de la matinĂ©e, ayant terminĂ© la liste des affaires qu’il devait entendre, il a demandĂ© s’il y avait d’autres affaires, notamment des plaidoyers de culpabilitĂ© ou d’autres affaires brèves, qu’il pouvait traiter. Il avait demandĂ© des affaires brèves parce qu’il ne devait siĂ©ger Ă  l’ancien HĂ´tel de ville qu’une journĂ©e. Il se conformait Ă©galement Ă  la directive gĂ©nĂ©rale s’appliquant aux juges mandatĂ©s sur une base journalière de ne pas entreprendre de procès parce que rien ne garantit qu’ils seront terminĂ©s le jour mĂŞme.

La demande de Monsieur le juge Richards concernant des affaires supplémentaires est conforme à ses antécédents de juge travaillant, qui traite les arriérés et les plaidoyers de culpabilité efficacement et effectivement. Le juge administratif local de Brampton, Monsieur le juge Cowan, le décrit ainsi dans une lettre déposée à titre de preuve :

Pendant toutes les annĂ©es oĂą j’ai connu le juge Richards il a Ă©tĂ© et continue d’ĂŞtre un des juges les plus travaillants et Ă©quitables que je connaisse. Nombre d’avocats et ses collègues partagent cette opinion.

Les avocats de la dĂ©fense aiment paraĂ®tre devant lui. Il aborde les questions rapidement, reconnaĂ®t le fonds de la cause et la traite d’une manière juste et efficace.

. . .

Nous prĂ©voyons habituellement 30 heures par jour pour chaque journĂ©e du procès. J’apprĂ©cie tout particulièrement la quantitĂ© de travail qu’il abat parce que je sais qu’il est en mauvaise santĂ© et qu’il se rend parfois au tribunal uniquement par amour de ce travail qu’il fait si bien.

Lorsque la cause Providence a Ă©tĂ© portĂ©e devant lui le matin en question, Monsieur le juge Richards n’a pas posĂ© de question sur la complexitĂ© ni la durĂ©e Ă©ventuelle de l’affaire avant de commencer et n’a pas remarquĂ© en lisant l’information qu’une journĂ©e avait Ă©tĂ© prĂ©vue pour le procès.

Après le dĂ©but du procès, il s’est rendu compte qu’il ne s’agissait ni d’un plaidoyer de culpabilitĂ© ni d’une brève affaire semblable et a remarquĂ©, pour une première fois, la note indiquant qu’une journĂ©e avait Ă©tĂ© prĂ©vue pour le procès. Les faits dĂ©crits par l’avocat suggèrent que Monsieur le juge Richards a jugĂ© d’après son expĂ©rience antĂ©rieure avec l’avocat de la dĂ©fense que dans l’Ă©ventualitĂ© oĂą plus d’un tĂ©moin serait appelĂ© Ă  tĂ©moigner la cause durerait probablement deux ou trois jours. Étant donnĂ© qu’il avait Ă©tĂ© affectĂ© Ă  l’HĂ´tel de ville seulement ce jour-lĂ  et ne devait pas revenir, Monsieur le juge Richards s’est rendu compte que la poursuite du procès mènerait Ă  un dĂ©lai inĂ©vitable et potentiellement très long. Sans demander l’avis des avocats, il a donc interrompu le procès et ordonnĂ© la rĂ©affectation de l’affaire.

Monsieur le juge Richards a reconnu qu’il avait commis une erreur en commençant le procès sans poser les questions qui lui auraient permis de juger la durĂ©e du procès et en interrompant celui-ci. Il a expliquĂ© que ses actions avaient Ă©tĂ© motivĂ©es par un dĂ©sir de  » faire avancer une liste dans des tribunaux surpeuplĂ©s manquant de personnel « . Il a reconnu que  » le fait de faire avancer la liste … pouvait aux yeux du public et de l’administration de la justice sembler Ă©clipser l’apparence de justice « . Il a reconnu son erreur et a prĂ©sentĂ© ses excuses.

La question

La seule question en cause dans cette affaire est de savoir si la conduite de Monsieur le juge Richards constitue une inconduite au sens de l’article 51.6 (11) de la Loi. Cet article stipule ce qui suit :

51.6 (11) Une fois qu’il a terminĂ© l’audience, le Conseil de la magistrature peut rejeter la plainte, qu’il ait conclu ou non que la plainte n’est pas fondĂ©e ou, s’il conclut qu’il y a eu inconduite de la part du juge, il peut, selon le cas

a) donner un avertissement au juge;

b) réprimander le juge;

c) ordonner au juge de présenter des excuses au plaignant ou à toute autre personne;

d) ordonner que le juge prenne des dispositions précises, telles suivre une formation ou un traitement, comme condition pour

continuer de siéger à titre de juge;

e) suspendre le juge, avec rĂ©munĂ©ration, pendant une pĂ©riode quelle qu’elle soit;

f) suspendre le juge, sans rémunération mais avec avantages sociaux, pendant une période maximale de trente jours;

g) recommander au procureur gĂ©nĂ©ral la destitution du juge conformĂ©ment Ă  l’article 51.8.

L’avocat de prĂ©sentation soutient que lorsqu’il a radiĂ© la plainte apparemment pour des motifs de commoditĂ© administrative et a exprimĂ© son antipathie Ă  l’Ă©gard de l’avocat de la dĂ©fense, Monsieur le juge Richards a adoptĂ© une conduite qui pourrait affecter la rĂ©putation de l’administration de la justice et partant constituer une inconduite judiciaire en vertu de l’article 51.6 (11) de la Loi.

Analyse

Le libellĂ© de l’article 51.6 (11) de la Loi manifeste l’intention claire du corps lĂ©gislatif de faire en sorte que l’inconduite judiciaire englobe un vaste Ă©ventail de conduite. Avant les amendements de 1995 Ă  la Loi, le Conseil de la lĂ©gislature Ă©tait responsable d’enquĂŞter sur les plaintes portĂ©es contre les juges provinciaux mais pouvait statuer sur les plaintes uniquement en les renvoyant au juge en chef, en recommandant une enquĂŞte sur la question de savoir si le juge devait ĂŞtre dĂ©mis de ses fonctions, ou en recommandant que le juge soit indemnisĂ© des frais de l’enquĂŞte.

La Loi actuelle examine clairement le concept d’inconduite judiciaire laquelle peut comprendre aussi bien une conduite mineure (mĂ©ritant un avertissement ou une rĂ©primande) qu’une conduite très grave, mĂ©ritant une rĂ©vocation.

La Cour suprĂŞme du Canada a rĂ©cemment examinĂ© la question de l’inconduite judiciaire dans sa dĂ©cision sur la norme de contrĂ´le judiciaire applicable Ă  une dĂ©cision prise par le Conseil de la magistrature du Nouveau-Brunswick dans la cause Moreau-BĂ©rubĂ© c. New Brunswick (Conseil de la magistrature), [2002] S.C.J. no 9. Le rĂ©gime statutaire du Nouveau-Brunswick envisagĂ© est semblable Ă  celui qui rĂ©git cette instance. Le Conseil de la magistrature du Nouveau-Brunswick est chargĂ© d’examiner les allĂ©gations d’inconduite judiciaire, de manquement au devoir et d’incapacitĂ© d’assumer les fonctions et peut statuer sur ces plaintes en recommandant une destitution, une rĂ©primande avec conditions ou une rĂ©vocation.

La question devant le Conseil de la magistrature dans l’affaire Moreau-BĂ©rubĂ© Ă©tait de savoir si les commentaires dĂ©sobligeants de la juge au sujet des rĂ©sidants de la pĂ©ninsule acadienne alors qu’elle prĂ©sidait une audience de dĂ©termination de la peine constituaient un abus de l’indĂ©pendance judiciaire suffisant pour mĂ©riter une sanction disciplinaire. La Cour suprĂŞme du Canada a dĂ©crit les causes qui mĂ©riteraient un processus disciplinaire Ă  l’article 58 :

Dans certains cas, cependant, les actes et les paroles d’un juge sèment le doute quant Ă  l’intĂ©gritĂ© de la fonction judiciaire elle-mĂŞme. Lorsqu’on entreprend une enquĂŞte disciplinaire pour examiner la conduite d’un juge, il existe une allĂ©gation selon laquelle l’abus de l’indĂ©pendance judiciaire par ce juge menace l’intĂ©gritĂ© de la magistrature dans son ensemble. Le processus d’appel ne peut pas remĂ©dier au prĂ©judice allĂ©guĂ©.

Dans une rĂ©cente dĂ©cision de ce Conseil, le comitĂ© a examinĂ© la dĂ©cision de la Cour suprĂŞme du Canada dans la cause Moreau-BĂ©rubĂ© ainsi que sa dĂ©cision dans la cause Therrien v. Minister of Justice et al. (2001), 155 C.C.C. (3d) 1 et a dĂ©crit le test aux termes de l’article 51.6 (11) comme suit :

L’objectif des instances d’inconduite judiciaire est essentiellement rĂ©parateur. Les dispositions de l’article 51.6 (1) devraient ĂŞtre invoquĂ©es si nĂ©cessaire pour rĂ©tablir la perte de confiance du public dĂ©coulant de la conduite judiciaire en cause.

Paraphrasant le test Ă©tabli par la Cour suprĂŞme dans les causes Therrien et Moreau-BĂ©rubĂ©, la question aux termes de l’article 51.6 (11) est de savoir si la conduite reprochĂ©e porte si manifestement et si totalement atteinte aux notions d’impartialitĂ©, d’intĂ©gritĂ© et d’indĂ©pendance de la justice qu’elle Ă©branle suffisamment la confiance de la population Ă  l’Ă©gard de la capacitĂ© du juge de s’acquitter de ses fonctions de sa charge ou l’administration de la justice en gĂ©nĂ©ral et s’il incombe au Conseil de la magistrature de prendre une des dispositions auxquelles il est fait mention dans l’article pour rĂ©tablir la confiance.

Dans la prĂ©sente cause, il n’y a pas de doute que Monsieur le juge Richards Ă©tait saisi du procès criminel au moment oĂą il a commencĂ© Ă  entendre la preuve, et que sa dĂ©cision de mettre fin au procès avant de consulter les avocats Ă©tait erronĂ©e. Monsieur le juge Richards a admis cela et admet, en effet, que sa conduite n’a pas respectĂ© les normes attendues d’un juge dans ces circonstances.

En gĂ©nĂ©ral, une dĂ©cision d’interrompre un procès en cours fondĂ©e sur des prĂ©occupations d’ordre personnel ou administratif dĂ©considĂ©rerait l’administration de la justice et pourrait constituer une inconduite judiciaire. Il en rĂ©sulte un report inĂ©vitable du procès, et un prĂ©judice concomitant, ainsi que des inconvĂ©nients majeurs pour l’accusĂ© et les tĂ©moins prĂ©sents. Dans la majoritĂ© des cas, une telle dĂ©cision rehausserait la probabilitĂ© d’enfreinte aux droits de l’accusĂ© en vertu de l’article 11 (b) de la Charte et cette probabilitĂ© est d’autant plus grande dans une cause comme celle-ci oĂą le procès a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© repoussĂ© parce que la Couronne n’a pas pu produire des preuves apparemment pertinentes.

Selon nous, cependant, cette cause est une exception Ă  la règle. En examinant tous les faits, nous sommes d’avis que la conduite de Monsieur le juge Richards ne constitue pas une inconduite judiciaire. Il y a plusieurs raisons :

1. Le juge est reconnu pour sa diligence. Il est réputé non seulement pour ne pas éviter le travail, mais pour le rechercher. Il a offert de traiter un plus grand nombre de causes ce jour-là.

2. Le juge ne s’est pas rendu compte avant d’amorcer le procès qu’on avait prĂ©vu plus d’une journĂ©e pour la cause.

3. Le juge avait dĂ©terminĂ© que cet avocat avait tendance Ă  retarder les causes plutĂ´t qu’Ă  les accĂ©lĂ©rer.

4. Le juge Ă©tait mandatĂ© sur une base journalière et, d’un point de vue administratif, ne serait probablement pas disponible pour une longue pĂ©riode de temps – ce qui aurait peut-ĂŞtre retardĂ© le procès davantage qu’une interruption.

5. On n’aurait pas encore atteint la cause au tribunal oĂą elle devait originellement ĂŞtre entendue.

6. Le juge siège au tribunal depuis 25 ans et sa réputation est intacte. Certes, il est réputé pour être diligent et travailleur.

7. Le juge a dĂ©montrĂ© qu’il comprenait clairement la portĂ©e de son erreur dans cette affaire. Ses excuses Ă©taient sincères.

8. Les dispositions de l’article 51.6 (11) sont gĂ©nĂ©ralement potentielles et non punitives. Il est très peu probable que ce juge commettra de nouveau le mĂŞme genre d’erreur. (En faisant cette observation, nous n’estimons pas que la nĂ©cessitĂ© d’envisager la possibilitĂ© d’inconduite future est une condition sine qua non pour conclure qu’il y a inconduite judiciaire.)

9. La conduite du juge a constituĂ© une erreur de jugement. Il aurait dĂ» examiner la question de la durĂ©e du procès avant de commencer et, après avoir dĂ©cidĂ© de l’examiner, il aurait dĂ» demander aux avocats d’estimer la durĂ©e du procès. Cependant, un membre raisonnable du public connaissant tous les faits pertinents ne considĂ©rerait pas cela comme autre chose qu’une erreur de jugement.

Pour tous ces motifs, nous estimons que cette erreur de jugement reconnue ne constitue pas une inconduite judiciaire. Par conséquent, nous rejetons la plainte.

Indemnisation

Madame la juge Agro est membre et directrice de l’Ontario Conference of Judges. Cet organisme prĂ©voit un fonds d’indemnisation pour les juges qui paraissent devant le Conseil de la magistrature. Par consĂ©quent, Madame la juge Agro s’est rĂ©cusĂ©e de cette portion de la dĂ©cision.

Selon l’article 51.7 (5) de la Loi, si une plainte est rejetĂ©e Ă  l’issue d’une audience, le Conseil de la magistrature doit recommander au procureur gĂ©nĂ©ral que le juge soit indemnisĂ© pour ses frais pour services juridiques et indiquer le montant de l’indemnitĂ©. ConformĂ©ment Ă  l’article 51.7 (7), le montant de l’indemnitĂ© peut se rapporter Ă  tout ou partie des frais pour services juridiques du juge et doit ĂŞtre calculĂ© selon un taux pour services juridiques qui ne dĂ©passe pas le taux maximal normalement prĂ©vu par le gouvernement de l’Ontario pour des services similaires. Dans la prĂ©sente cause, les avocats ont recommandĂ© conjointement des frais de 3 000 dollars. Il est Ă©vident, d’après l’audience elle-mĂŞme et l’information qui nous a Ă©tĂ© fournie, que ce montant est considĂ©rablement infĂ©rieur Ă  celui qui aurait pu ĂŞtre accordĂ©. Bien que nous ayons conclu qu’il n’y pas eu d’inconduite judiciaire, nous sommes d’avis qu’il y a eu erreur de jugement. La tenue d’une audience Ă©tait certainement appropriĂ©e dans cette cause.

Dans toutes les circonstances, nous recommandons au procureur général que Monsieur le juge Richards soit indemnisé de ses frais juridiques pour un montant de 3 000 dollars.

DATÉ Ă  Toronto, dans la province de l’Ontario, le 7 juin 2002.

Monsieur le juge en chef adjoint Dennis R. O’Connor

Madame la juge P. H. Marjoh Agro

William James

Patricia D. S. Jackson