Juge Marvin G. Morten

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Dans l’affaire des plaintes concernant Monsieur le juge Marvin G. Morten

DEVANT Madame la juge Eileen E. Gillese
Cour d’appel de l’Ontario
  L’honorable Annemarie E. Bonkalo
Juge en chef adjointe de la Cour de justice de l’Ontario
  M. J. Bruce Carr-Harris
  Mme Madeleine Aldridge
AVOCAT Me Douglas Hunt et Me Michael Meredith, avocat présentant la cause
  Me Robert G. Schipper, avocat du juge Marvin G. Morten
  Me Paul Schabas, avocat du journal Toronto Star
  Me Peter Jacobsen, avocat du journal The Globe and Mail
  Me Munyonzwe Hamalengwa, avocat de la revue Pride News
  Me Marlys Edwardh, avocate de la Criminal Lawyer’s Association

MOTIFS DE LA DÉCISION

[1] Le Conseil de la magistrature de l’Ontario, en vertu du paragraphe 51.4 (18) et de l’article 51.6 de la Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.O. 1990, ch. 43, avec ses modifications (la « Loi »), a ordonnĂ© que les plaintes concernant la conduite ou les actes de l’intimĂ©, le juge Marvin G. Morten, fassent l’objet d’une audience. L’avis d’audience fait Ă©tat, entre autres, de plaintes allĂ©guant de nombreux cas rĂ©pĂ©tĂ©s de conflit judiciaire et de dĂ©saccord entre l’intimĂ©, le systĂšme judiciaire et le personnel de la Cour de Brampton.

[2] L’avocat prĂ©sentant la cause a dĂ©posĂ© une requĂȘte visant Ă  tenir les parties de l’audience concernant le conflit judiciaire Ă  huis clos (la « requĂȘte »). Les motifs de la requĂȘte font valoir que la divulgation publique de la nature des conflits risque de miner sĂ©rieusement la confiance du public envers l’administration de la justice Ă  Brampton et dans la province en gĂ©nĂ©ral.

[3] L’intimĂ© s’oppose fortement Ă  la requĂȘte, car il souhaite la tenue d’une audience publique. S’y opposent Ă©galement The Globe and Mail, le Toronto Star, la revue Pride News ainsi que la Criminal Lawyers’ Association, Ă  qui on a octroyĂ© la qualitĂ© d’intervenant aux fins de la requĂȘte.

[4] Avant de nous pencher sur le bien-fondĂ© de la requĂȘte, nous traiterons la premiĂšre objection de l’intimĂ© dans laquelle il affirme que le comitĂ© d’audience ne devrait pas recevoir la requĂȘte. La premiĂšre objection s’appuie sur les trois observations suivantes :

(i) l’avocat prĂ©sentant la cause n’a pas l’autoritĂ© ni la compĂ©tence voulue pour introduire la requĂȘte;

(ii) en introduisant la requĂȘte, l’avocat prĂ©sentant la cause a dĂ©passĂ© les limites de son rĂŽle et a agi en tant qu’avocat des plaignants et des tĂ©moins;

(iii) en prenant compte de la preuve appuyant la requĂȘte, l’audience a Ă©tĂ© compromise et le comitĂ© d’audience devrait ĂȘtre dissous.

COMPÉTENCE POUR PRÉSENTER LA REQUÊTE

[5] L’intimĂ© maintient que le rĂŽle de l’avocat prĂ©sentant la cause se limite « Ă  prĂ©parer et Ă  prĂ©senter la cause contre l’intimĂ© » et que la prĂ©sentation de la requĂȘte n’en fait pas partie. L’intimĂ© prĂ©tend que le droit de prĂ©senter une telle requĂȘte revient Ă  l’intimĂ©, aux plaignants et aux tĂ©moins.

[6] À l’article 2 de cette section du Guide de procĂ©dures du Conseil de la magistrature de l’Ontario intitulĂ© « Guide de procĂ©dure pour les audiences », le rĂŽle de l’avocat chargĂ© de prĂ©senter la cause est dĂ©crit comme suit : « prĂ©parer et prĂ©senter la cause contre l’intimĂ© ». L’article 3 indique que l’avocat chargĂ© de prĂ©senter la cause « doit agir de façon indĂ©pendante » du Conseil de la magistrature. L’article 4 Ă©tablit que le devoir de l’avocat prĂ©sentant la cause est de « voir Ă  ce que la plainte contre le juge soit Ă©valuĂ©e de façon Ă©quitable et impartiale afin d’en arriver Ă  un rĂ©sultat juste ».

[7] Selon nous, il est Ă©vident que l’avocat chargĂ© de la prĂ©sentation de la cause a l’autoritĂ© voulue pour prĂ©senter la prĂ©sente requĂȘte. Il n’y a rien dans la formulation des articles 2 Ă  4 (ou ailleurs dans le Guide de procĂ©dures) qui indique que les compĂ©tences de l’avocat prĂ©sentant la cause devraient ĂȘtre interprĂ©tĂ©es de façon restrictive. Au contraire, d’aprĂšs l’Ă©tendue des obligations qui incombent Ă  l’avocat prĂ©sentant la cause ainsi que l’absence de clauses limitatives, il semble que les pouvoirs de l’avocat prĂ©sentant la cause doivent ĂȘtre interprĂ©tĂ©s de façon large et libĂ©rale afin qu’il puisse remplir sa tĂąche le mieux possible. De plus, une simple lecture des mots « prĂ©parer et prĂ©senter » montre que, dans le contexte de l’obligation de l’avocat prĂ©sentant la cause d’agir de façon « indĂ©pendante » et du pouvoir du prĂ©sent comitĂ© d’audience de dĂ©cider si une audience devrait ĂȘtre tenue Ă  huis clos, ils comprennent le pouvoir de prĂ©senter une requĂȘte.

L’ÉTENDUE DU RÔLE DE L’AVOCAT PRÉSENTANT LA CAUSE

[8] Pour ces mĂȘmes raisons, nous sommes d’avis que l’avocat chargĂ© de prĂ©senter la cause n’a pas dĂ©passĂ© les limites de son rĂŽle en dĂ©posant la prĂ©sente requĂȘte.

COMPROMISSION POSSIBLE DU COMITÉ D’AUDIENCE

[9] Le rĂ©gime lĂ©gal et procĂ©dural qui rĂ©git l’audience permet expressĂ©ment au comitĂ© d’audience de tenir celle-ci Ă  huis clos. Voir le paragraphe 51.6 (7) de la Loi et le Guide de procĂ©dures du Conseil de la magistrature de l’Ontario, p. 11.

[10] Afin qu’il puisse dĂ©cider si l’audience doit se tenir Ă  huis clos, le comitĂ© d’audience se verra forcĂ©ment prĂ©senter des preuves. On ne peut confier au comitĂ© d’audience la tĂąche expresse de dĂ©cider si l’audience doit se tenir Ă  huis clos sans lui permettre de recevoir la preuve nĂ©cessaire pour prendre cette dĂ©cision.

[11] Quoi qu’il en soit, nous rejetons l’idĂ©e que la rĂ©ception d’une telle preuve, qu’elle soit ou non ultĂ©rieurement soumise comme telle sur le fond, puisse faire perdre l’apparence d’impartialitĂ© au comitĂ© d’audience. Les membres du comitĂ© d’audience ont la formation et l’expĂ©rience nĂ©cessaires pour prendre en compte la preuve soumise Ă  propos de la requĂȘte uniquement aux fins pour lesquelles elle a Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©e.

LA REQUÊTE

[12] Le paragraphe 49 (11) de la Loi prĂ©voit que les audiences du Conseil de la magistrature « doivent ĂȘtre accessibles au public » Ă  moins que le paragraphe 51.6 (7) s’applique. Le paragraphe 51.6 (7) prĂ©voit que les audiences se tiennent Ă  huis clos seulement dans des « circonstances exceptionnelles », lorsque le Conseil de la magistrature Ă©tablit que « les avantages de prĂ©server la confidentialitĂ© l’emportent sur ceux de tenir des audiences accessibles au public ».

[13] Nous ne sommes pas convaincus de l’existence de circonstances exceptionnelles. Les audiences publiques ont une importance capitale dans le systĂšme juridique canadien. Le principe de transparence s’applique Ă  toutes les facettes du systĂšme et ne se limite pas aux audiences devant les tribunaux. Son rĂŽle sur le plan de la promotion de la confiance du public en l’administration de la justice a Ă©tĂ© soulignĂ© Ă  maintes reprises par la Cour suprĂȘme du Canada. Par exemple, dans l’arrĂȘt SociĂ©tĂ© Radio-Canada c. Nouveau-Brunswick, [1996] 3 R.C.S., au paragraphe 22, J. LaForest, qui s’exprime pour l’ensemble de la Cour, Ă©crit que :

L’importance d’assurer la justice devant public n’a pas seulement passĂ© l’Ă©preuve du temps : elle est Ă  prĂ©sent devenue « l’une des caractĂ©ristiques d’une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique »; voir Re Southam Inc. and The Queen (No. 1) (1983), 41 O.R. (2d) 113 (C.A.), p. 119. Le principe de la publicitĂ© des dĂ©bats, dĂ©crit comme « le souffle mĂȘme de la justice » et la « garantie des garanties », est en quelque sorte une assurance que la justice est menĂ©e de façon non arbitraire, selon les rĂšgles de droit. Dans l’arrĂȘt Procureur gĂ©nĂ©ral de la Nouvelle-Écosse c. MacIntyre, [1982] 1 R.C.S. 175,

il a Ă©tĂ© jugĂ© que la publicitĂ© est la rĂšgle et le secret l’exception, situation qui favorise la confiance du public dans la probitĂ© du systĂšme judiciaire et la comprĂ©hension de l’administration de la justice.

[14] Cette audience porte sur une importante affaire d’intĂ©rĂȘt public. La tenue Ă  huis clos de l’audience ou de certaines parties de celle-ci en limiterait l’accĂšs au public, ce qui constituerait Ă  premiĂšre vue une infraction au paragraphe 2 (b) de la Charte des droits et libertĂ©s. La personne la plus touchĂ©e par la tenue d’une audience Ă  huis clos ou publique est l’intimĂ©. Il souhaite la tenue d’une audience publique.

[15] Le supposĂ© prĂ©judice causĂ© Ă  l’intĂ©rĂȘt public n’est qu’hypothĂ©tique. De plus, on sait qu’un processus transparent augmente la confiance du public dans le processus d’audience. Nous ne sommes pas convaincus que le risque de prĂ©judice est assez important pour infirmer le principe selon lequel les audiences doivent ĂȘtre accessibles au public.

DÉCISION

[16] Pour ces raisons, la requĂȘte est rejetĂ©e. L’audience se tiendra devant public.

FAIT dans la ville de Toronto, dans la province de l’Ontario, le 10 fĂ©vrier 2006.

Madame la juge Eileen E. Gillese
Cour d’appel de l’Ontario

L’honorable Annemarie E. Bonkalo
Juge en chef adjointe de la Cour de justice de l’Ontario

M. J. Bruce Carr-Harris

Mme Madeleine Aldridge