Dans l’affaire des plaintes concernant M. le juge Kerry P. Evans
DEVANT | Mme la juge Louise Charron Cour d’appel de l’Ontario |
M. le juge J. David Wake Juge en chef adjoint Cour de justice de l’Ontario |
|
M. Henry G. Wetelainen | |
AVOCAT | M. Douglas Hunt, avocat présentant la cause |
M. Brian Greenspan, avocat de M. le juge Kerry P. Evans |
MOTIFS DES DÉCISIONS
[1] Le Conseil de la magistrature de l’Ontario a ordonné qu’une audience soit tenue en vertu du paragraphe 51.6 de la Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.O. 1990, ch. 43 concernant la conduite de M. le juge Kerry P. Evans. L’audience a été fixée au 3 août 2004. M. le juge Evans cherche à obtenir une ordonnance prévoyant la tenue de l’audience à huis clos. Sa motion a été entendue le 15 juin 2004 devant trois des quatre membres du comité qui a été créé aux fins de la tenue de l’audience. Le quatrième membre du comité, Jocelyne Côté-O’Hara, n’était pas disponible pour l’audition de la motion. Les parties conviennent que cette motion constitue une question de procédure ou une question interlocutoire au sens du paragraphe 4.2(1) de la Loi sur l’exercice des compétences légales, L.R.O. 1990, ch. S.2, et qu’elle peut être entendue et tranchée par l’un ou plusieurs des membres du comité qu’affecte le président du comité. Par conséquent, la motion a été entendue par les trois membres présents du comité. [2] La décision du conseil de tenir ou non une audience à huis clos est régie par la Loi sur les tribunaux judiciaires de l’Ontario, L.R.O. 1990, ch. C.43, avec ses modifications, et les critères promulgués par le Conseil en vertu de cette loi. Le paragraphe 49(11) prévoit que les audiences du Conseil de la magistrature doivent être publiques, sauf si le paragraphe 51.6(7) s’applique. Le paragraphe 51.6(7) prévoit ce qui suit :Dans des circonstances exceptionnelles, le Conseil de la magistrature peut tenir la totalité ou une partie de l’audience à huis clos s’il décide, conformément aux critères établis aux termes du paragraphe 51.1 (1), que les avantages du maintien du caractère confidentiel l’emportent sur ceux de la tenue d’une audience publique.
[3] Le paragraphe 51.1(1) prévoit que le Conseil de la magistrature établit et rend publiques ses propres règles de procédure. En vertu de ce paragraphe, le conseil a établi les critères déterminant si des circonstances exceptionnelles existent pour tenir d’une audience à huis clos : [TRADUCTION]Les membres du Conseil de la magistrature examineront les critères suivants pour déterminer les circonstances exceptionnelles qui doivent exister avant qu’une décision ne soit rendue pour maintenir le caractère confidentiel et tenir une audience totalement ou partiellement à huis clos;
a) si des questions concernant la sécurité publique peuvent être divulguées;
b) si des questions intimes de nature financière ou personnelle ou d’autre nature peuvent être divulguées à l’audience, compte tenu des circonstances, que l’utilité d’éviter la divulgation de ces questions dans l’intérêt de toute personne visée ou dans l’intérêt public l’emporte sur l’utilité de se conformer au principe que l’audience soit publique..
[4] Pour appuyer sa motion, M. le juge Evans se fonde uniquement sur la nature des allégations et, si ces allégations devenaient publiques, sur leur éventuelle incidence sur sa capacité continue de siéger comme juge. Ainsi, M. Greenspan a déposé une copie d’un article publié dans The Barrie Examiner à la suite de l’acquittement de M. le juge Evans de l’accusation criminelle qui a été déposée à la suite de l’une des allégations qui constituent l’objet de l’audience tenue par le Conseil. L’article indiquait entre autres que les commentaires de la plaignante, à savoir qu’elle était [TRADUCTION]  » extrêmement déçue  » mais pas surprise de l’acquittement et qu’elle avait l’intention de [TRADUCTION]  » s’assurer qu’il ne siège plus jamais comme juge « . L’article indiquait aussi ce qui était caractérisé comme [TRADUCTION]  » l’outrage  » de M. Greenspan en prenant connaissance des commentaires de la plaignante. [5] M. Greenspan déclare qu’il faut s’attendre à ce genre de publicité si l’audience est ouverte au public. Il ajoute qu’une telle situation pourrait gravement compromettre la capacité de M. le juge Evans de siéger de nouveau comme juge président même s’il a été exonéré par le Conseil. Par conséquent, il fait valoir que la démarche préférable serait que l’instance soit filmée sur bande vidéo mais qu’elle ait lieu à huis clos. À la conclusion de l’audience, si le Conseil trouve que les allégations sont établies, le public pourra avoir accès à la bande vidéo. Par ailleurs, si la décision du Conseil était favorable au juge Evans, le Conseil pourra rendre une décision éclairée quant aux parties de la bande vidéo, le cas échéant, qui pourraient être rendues publiques. [6] Il n’y a aucun doute que l’intérêt public comprend la confiance du public dans le juge. Toutefois, nous n’acceptons pas l’argument de l’avocat. Si à la fin du processus, les conclusions du Conseil sont favorables au juge Evans, nous croyons que la transparence du processus fera davantage pour restaurer la confiance du public en lui que toute audience à huis clos voilée par le secret. L’importance fondamentale des audiences judiciaires publiques a été mise en évidence de manière répétitive. Tout récemment, la Cour suprême du Canada, dans l’affaire Vancouver Sun, 2004 CSC 43, a réitéré que [TRADUCTION]  » le principe de l’audience publique  » est une [TRADUCTION]  » preuve d’une société démocratique et s’applique à toutes les instances judiciaires. L’extrait ci-après est particulièrement pertinent à la question soulevée dans cette motion (au paragraphe 25): [TRADUCTION]L’accès du public aux tribunaux garantit l’intégrité du processus judiciaire en démontrant  » que la justice est administrée de manière non-arbitraire, conformément à la primauté du droit  » : [référence omise]. L’ouverture des audiences aux public est nécessaire pour maintenir l’indépendance et l’impartialité des tribunaux. Elle fait partie intégrante de la confiance du public dans le système de justice et de la compréhension par le public de l’administration de la justice. De plus, les audiences publiques constituent un élément principal de la légitimité du processus judiciaire et de la raison pour laquelle les parties et le grand public respectent les décisions des tribunaux.
[7] M. le juge Evans n’a pas présenté de circonstances particulières à sa cause qui justifieraient la dérogation par le Conseil au principe que l’audience doit être publique. Son argument pourrait s’appliquer à toute cause où la conduite d’un juge est l’objet d’une audience. Pour accéder à la demande du requérant, il faudrait à notre avis inverser la très solide présomption légale en faveur d’une audience publique. [8] Pour ces motifs, la motion est rejetée. L’audience sera publique.FAIT à Toronto, dans la province d’Ontario, le 2 juillet 2004.
Mme la juge Louise Charron
Cour d’appel de l’Ontario, présidente
M. le juge J. David Wake
Juge en chef adjoint
Cour de justice de l’Ontario
M. Henry G. Wetelainen