Juge Kerry P. Evans

print friendly

Dans l’affaire des plaintes concernant M. le juge Kerry P. Evans

DEVANT Mme la juge Louise Charron
Cour d’appel de l’Ontario
M. le juge J. David Wake
Juge en chef adjoint
Cour de justice de l’Ontario
M. Henry G. Wetelainen
AVOCAT M. Douglas Hunt, avocat présentant la cause
M. Brian Greenspan, avocat de M. le juge Kerry P. Evans

MOTIFS DES DÉCISIONS

[1] Le Conseil de la magistrature de l’Ontario a ordonnĂ©, conformĂ©ment aux paragraphes 51.4 (18) et 49 (16) de la Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.O. 1990, ch. 43 (la  » Loi « ), qu’une audience soit tenue en vertu du paragraphe 51.6 de la Loi concernant la conduite de M. le juge Kerry P. Evans. Le comitĂ© d’audition a tous les pouvoirs du Conseil de la magistrature Ă  cette fin et sera, pour des raisons pratiques, dĂ©signĂ© dans la suite de ce document par l’expression  » le Conseil « .

[2] Il est allĂ©guĂ© que le juge Evans s’est conduit d’une manière incompatible avec l’exercice convenable de ses fonctions. Les allĂ©gations sont en rapport avec les plaintes portĂ©es par six employĂ©es du palais de justice de Barry, en Ontario. La teneur de ces plaintes est prĂ©cisĂ©e dans l’avis d’audience datĂ© du 10 juillet 2003 dont copie est jointe aux prĂ©sentes.

[3] Le Conseil s’est rĂ©uni le 27 aoĂ»t 2003 pour fixer une date d’audience et pour examiner les motions prĂ©liminaires. M. le juge Evans, par le biais de son avocat, a prĂ©sentĂ© une motion demandant une ordonnance d’ajournement sine die de l’audience, en attendant la dĂ©cision concernant une accusation criminelle en rapport avec l’une des questions devant le Conseil. M. le juge Evans a en outre prĂ©sentĂ© une motion demandant que l’audience soit tenue Ă  huis clos conformĂ©ment Ă  l’article 51.6. de la Loi.

[4] Après avoir examinĂ© les observations prĂ©sentĂ©es par l’avocat de M. le juge Evans et par l’avocat prĂ©sentant la cause, le Conseil a acceptĂ© en partie la motion en ajournement, pour les motifs exposĂ©s ci-après, et l’affaire a Ă©tĂ© ajournĂ©e jusqu’au 15 janvier 2004, date Ă  laquelle une date d’audience sera fixĂ©e. Les motifs de cette dĂ©cision sont exposĂ©s ci-après.

[5] Il est dans l’intĂ©rĂŞt Ă  la fois de M. le juge Evans et du public que l’audition de ces plaintes soit tenue de façon Ă©quitable et sans retard. La question soulevĂ©e par cette motion est de savoir si, pour rĂ©pondre au mieux Ă  ces objectifs, il est prĂ©fĂ©rable d’attendre la fin du procès criminel sur l’accusation d’agression sexuelle avant de tenir l’audience. Les circonstances suivantes sont pertinentes pour la dĂ©cision en rĂ©ponse Ă  cette question.

a) L’importance du règlement de l’accusation criminelle

[6] Me Greenspan, au nom de son client, admet qu’une dĂ©claration de culpabilitĂ© sur une accusation d’agression sexuelle constituerait pour son client une conduite incompatible avec l’exĂ©cution convenable de ses fonctions. Par consĂ©quent, il a informĂ© le Conseil que dans le cas oĂą le procès criminel rĂ©sulterait en une dĂ©claration de culpabilitĂ©, M. le juge Evans dĂ©missionnerait de son poste; il n’y aurait alors plus lieu de tenir une audience. L’avocat a fait valoir qu’Ă  elle seule, cette raison justifierait l’ajournement de l’audience jusqu’Ă  ce qu’une dĂ©cision dĂ©finitive ait Ă©tĂ© prise concernant l’accusation criminelle.

b) Le chevauchement des questions

[7] Dans le cas oĂą M. le juge Evans serait acquittĂ© dans son procès criminel et qu’une audience devant ce Conseil s’avĂ©rerait nĂ©cessaire, il est fait valoir que l’on pourrait malgrĂ© tout rĂ©aliser une Ă©conomie importante des ressources en attendant que le procès criminel ait eu lieu d’abord, puisque les questions sous-jacentes Ă  ces deux instances se recoupent dans une large mesure.

[8] Comme indiquĂ© prĂ©cĂ©demment, M. le juge Evans est accusĂ© d’agression sexuelle Ă  l’Ă©gard de l’une des six plaignantes dont les allĂ©gations constituent l’objet de cette audience. MĂŞme s’il ne fait l’objet d’aucune accusation en rapport avec les cinq autres plaignantes, il est possible que la Couronne, lors du procès criminel, introduise le tĂ©moignage de ces personnes en tant que preuves d’actes similaires, dans le cadre du dossier principal de la poursuite ou dans l’Ă©ventualitĂ© oĂą M. le juge Evans choisirait de faire valoir sa moralitĂ©. L’objet des dĂ©positions des tĂ©moins est la mĂŞme au procès et Ă  l’audience. Me Greenspan reconnaĂ®t Ă©galement que les questions liĂ©es aux diverses allĂ©gations seraient les mĂŞmes au procès et Ă  l’audience devant ce Conseil. Par consĂ©quent, Me Greenspan a fait valoir que si le procès criminel avait lieu en premier, on pourrait vraisemblablement, lors de l’audience subsĂ©quente, introduire une grande partie des Ă©lĂ©ments de preuve en utilisant la transcription du procès, sans qu’il soit nĂ©cessaire de recourir Ă  des tĂ©moignages de vive voix. Ceci permettrait non seulement de faire des Ă©conomies en termes de temps, de ressources judiciaires et de ressources personnelles pour le juge Evans, mais Ă©viterait aussi aux plaignantes d’avoir Ă  tĂ©moigner Ă  deux reprises.

c) Délais prévus pour le procès criminel

[9] L’accusation criminelle Ă  l’encontre du juge Evans a Ă©tĂ© dĂ©posĂ©e le 28 mai 2003. L’affaire doit ĂŞtre examinĂ©e au palais de justice d’Hamilton le 15 septembre 2003. Les parties espèrent qu’Ă  cette date, on pourra procĂ©der non seulement Ă  l’exposĂ© des faits, mais qu’un juge sera en outre disponible pour tenir une confĂ©rence prĂ©paratoire. Il est Ă  prĂ©voir que la Couronne choisira la voie de procĂ©dure sommaire et que, par consĂ©quent, le procès sera conduit par un juge siĂ©geant seul, devant un juge de la Cour de justice de l’Ontario. Les parties prĂ©voient que le procès durera une ou deux semaines et elles espèrent qu’une date pourra ĂŞtre fixĂ©e plus tard cette annĂ©e ou au dĂ©but de l’annĂ©e prochaine pour ce procès.

[10] Il va de soi qu’il n’est pas possible de tenir simultanĂ©ment le procès criminel et l’audience. M. le juge Evans a le droit constitutionnel d’ĂŞtre jugĂ© dans un dĂ©lai raisonnable sur l’accusation criminelle. Son avocat, en son nom, a dĂ©clinĂ© expressĂ©ment tout droit procĂ©dural qu’il pourrait avoir d’exiger une audience sans dĂ©lai devant le Conseil, dans l’intĂ©rĂŞt de prĂ©server ce droit constitutionnel.

[11] Compte tenu des dĂ©lais prĂ©vus pour l’instance criminelle et des avantages possibles de procĂ©der au procès criminel en premier, nous sommes d’avis qu’il n’y a pas lieu de fixer une date pour l’audience pour le moment. NĂ©anmoins, nous ne sommes pas prĂŞts Ă  accorder un ajournement jusqu’Ă  ce que la dĂ©cision dĂ©finitive concernant l’accusation criminelle soit prise, comme il est demandĂ©, parce que le dĂ©roulement des instances criminelles prĂ©sente encore trop d’incertitudes Ă  l’heure actuelle. De plus, nous ne sommes pas persuadĂ©s que le fait de procĂ©der d’abord Ă  l’audience compromettrait de quelque manière que ce soit l’Ă©quitĂ© du procès criminel. Ainsi, si le procès criminel faisait l’objet de retards imprĂ©vus, nous sommes d’avis qu’il serait alors dans l’intĂ©rĂŞt public de tenir l’audience en premier.

[12] Pour tous ces motifs, nous avons autorisĂ© la motion en ajournement seulement en partie et avons ajournĂ© l’affaire jusqu’au 15 janvier 2004, date Ă  laquelle il faudra fixer une date d’audience. Entre-temps, il a Ă©tĂ© ordonnĂ© aux avocats de tenir le Conseil informĂ© par Ă©crit de l’avancement de l’instance criminelle.

[13] Compte tenu de notre dĂ©cision sur la motion en ajournement, nous n’avons pas examinĂ©, Ă  ce stade, la motion demandant que l’audience ait lieu Ă  huis clos, Ă©tant donnĂ© que les Ă©lĂ©ments dĂ©terminants pourront diffĂ©rer selon que l’audience a finalement lieu avant ou après le procès criminel. Par consĂ©quent, cette motion sera examinĂ©e le 15 janvier 2004.

[14] Étant donnĂ© que le Conseil n’examine pas pour le moment la motion en vue d’obtenir une audience Ă  huis clos, la prĂ©sente dĂ©cision provisoire ne doit pas ĂŞtre divulguĂ©e ni rendue publique tant qu’une dĂ©cision n’aura pas Ă©tĂ© prise Ă  ce sujet et que le Conseil ne l’aura pas ordonnĂ© conformĂ©ment aux articles 19 (24) et (25) de la Loi sur les tribunaux judiciaires.

DATÉ Ă  Toronto, dans la province de l’Ontario, le 9 septembre 2003.

Mme la juge Louise V. Charron
Cour d’appel de l’Ontario, prĂ©sidente

M. le juge J. David Wake
Juge en chef adjoint
Cour de justice de l’Ontario

M. Henry G. Wetelainen

Mme Jocelyne CĂ´tĂ©-O’Hara