Juge de paix Paul A. Welsh

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Dans l’affaire d’une audience dont la tenue est ordonnée aux termes du paragraphe 11(15) de la Loi sur les juges de paix, L.R.O. 1990, c. J.4, ainsi modifiée, en ce qui concerne la conduite du juge de paix Paul A. Welsh, juge de paix dans la région du Centre-Ouest

Devant :

L’honorable J. David Wake
Madame la juge Lorraine A. Watson, juge de paix
Professeur Emir Aly Crowne-Mohammed, membre de la communauté

Comité d’audition du Conseil d’évaluation des juges de paix

Motifs des décisions

Avocats présentant la cause :

M. Douglas C. Hunt, Q. C.
M. Andrew Burns
Mme Grace David

Hunt Partners s.r.l.

Avocats de Monsieur le juge Paul A. Welsh :

M. Roger D. Yachetti, Q. C.
M. Asgar M. Manek

Yachetti, Lanza & Restivo s.r.l.

Motifs des décisions

I. Introduction

[1] Quatre plaintes non connexes ont été reçues par le Conseil d’évaluation des juges de paix (le Conseil d’évaluation) en ce qui concerne la conduite du juge de paix Welsh. Le Conseil d’évaluation a créé un comité des plaintes conformément au par. 11(1) de la Loi sur les juges de paix, L.R.O. 1990, c. J.4, ainsi modifiée (ci-après appelée la « Loi »). Le comité des plaintes a fait enquête sur chaque question et a ordonné qu’un comité d’audition tienne une audience formelle sur chaque plainte conformément au par. 11(15) de la Loi.

[2] Le Conseil d’évaluation a créé un comité d’audition en vertu de l’art. 11.1 de la Loi et, par la suite, une audience sur les quatre plaintes a eu lieu le 10 septembre 2009.

[3] Un long exposé conjoint des faits a été remis au Conseil d’évaluation le 9 septembre 2009 et a été déposé comme pièce « B » le jour suivant à l’audience même. Dans la pièce « B » se trouvaient les transcriptions et enregistrements de deux instances judiciaires à l’origine de deux des plaintes.

[4] Le 10 septembre 2009, le comité d’audition a entendu le juge de paix Welsh, qui a choisi de déposer et qui a été longuement contre-interrogé par M. Hunt, l’avocat présentant la cause. De plus, le comité d’audition a entendu quatorze témoins de moralité. M. Yachetti, l’avocat du juge de paix Welsh, a également soumis au nom de ce dernier un livre contenant environ soixante-dix lettres de moralité, ainsi qu’un mémoire sur les absolutions inconditionnelles.

[5] Une fois terminée la présentation de la preuve, les deux avocats ont présenté des observations et se sont vu accorder la permission de présenter des observations supplémentaires par écrit, si telle était leur intention. Ces observations ont été reçues ensemble avec le dossier des sources invoquées. Le comité d’audition a examiné l’ensemble de la preuve et des documents déposés à l’audience, ainsi que les observations et mémoires soumis à l’audience et par la suite.

[6] Le comité d’audition s’est également réuni après l’audience pour écouter les enregistrements des deux instances judiciaires se trouvant dans la pièce « B » susmentionnée.

II. Les plaintes

[7] Les détails des plaintes ont été énoncés dans l’avis d’audience qui a été déposé comme pièce « A » dans la présente instance. Les détails des plaintes sont joints aux présents motifs à titre d’appendice « A ».

[8] Nous fournirons ci-dessous une brève description de chacune des plaintes, que nous proposons d’aborder dans l’ordre suivant :

A) La plainte de M. Watkins

[9] Le 11 janvier 2008, le juge de paix Welsh a entendu une affaire dans laquelle M. Paul Watkins était accusé d’avoir commis une infraction prévue par la Loi sur le code du bâtiment, L.O. 1992, c. 23, ainsi modifiée, pour avoir omis de se conformer à un ordre d’un inspecteur en bâtiment concernant une fenêtre en voie d’être construite – semblerait-il en contravention du Code – sur le mur latéral d’un garage isolé situé sur la propriété de M. Watkins.

[10] M. Watkins se représentait lui-même. Il est allégué que le comportement et les commentaires du juge de paix Welsh lors du procès étaient inappropriés et incompatibles avec l’exercice de ses fonctions.

B) La plainte de M. Caplan

[11] M. Frederick Caplan est un avocat qui représentait une personne accusée d’avoir fait un excès de vitesse en contravention de l’art. 128 du Code de la route, L.R.O. 1990, c. H.8, ainsi modifié. M. Caplan a voulu contre-interroger un policier au sujet de la non-comparution de celui-ci à une date ultérieurement fixée pour le procès. Il est allégué qu’au moment d’interroger l’avocat sur la raison pour laquelle celui-ci voulait contre-interroger le policier, le juge de paix Welsh a fait preuve d’un comportement inapproprié et d’un manque de civilité. Il est allégué que le juge de paix Welsh, après avoir autorisé le contre-interrogatoire, a interrompu l’avocat et limité le droit au contre-interrogatoire de ce dernier, en plus de faire preuve d’un manque d’impartialité en interrogeant lui-même le policier. Il est allégué que son refus de se récuser à la demande de l’avocat était inapproprié et que sa conduite et son comportement lors de l’audience étaient incompatibles avec l’exercice de ses fonctions.

C) La plainte concernant les prorogations de délai accordées à Paul Hrab

[12] M. Paul Hrab avait été déclaré coupable relativement à diverses accusations portées aux termes de la Loi sur les infractions provinciales, pour avoir conduit un véhicule automobile sans assurance et alors que son permis était suspendu. Des amendes totalisant 16 396 $ lui avaient été imposées.

[13] Le père de Paul Hrab, M. Steve Hrab, est un policier de Hamilton que connaît le juge de paix Welsh. Le 11 décembre 2007, Steve Hrab a comparu devant le juge de paix Welsh au nom de son fils dans le cadre de quatre motions visant à obtenir une prorogation du délai de paiement des amendes.

[14] Les motions ont été accueillies et une prorogation a été accordée pour une période initiale d’un an au cours de laquelle Paul Hrab paierait 100 $ par mois au titre des amendes impayées. Après la première année, le délai pourrait être renouvelé, prorogé ou modifié.

[15] Environ un an plus tard, le 5 décembre 2008, Steve Hrab a encore une fois comparu devant le juge de paix Welsh au nom de son fils, cette fois-ci pour demander une prorogation supplémentaire d’un an pour le paiement des amendes impayées. À cette occasion, Steve Hrab a comparu devant le juge de paix Welsh sans aucun document à l’appui. Les motions ont été accueillies aux mêmes conditions que celles de l’année précédente. L’une des motions visait une amende imposée à Burlington.

[16] Les juges de paix à Hamilton n’avaient pas pour politique d’instruire des motions visant à obtenir une prorogation du délai de paiement d’une amende sans documents à l’appui, ni des motions visant des affaires à l’extérieur du territoire de Hamilton, comme l’amende imposée à Burlington.

D) La plainte concernant le procès-verbal d’infraction de la juge Zivolak

[17] Le 24 octobre 2008, le juge de paix Welsh siégeait à la cour d’accès à Hamilton. Dans le cadre de ses fonctions, il a inscrit une déclaration de culpabilité à l’égard d’un « procès-verbal d’infraction en vertu du système photographique relié aux feux rouges » pour un véhicule immatriculé au nom de Martha B. Zivolak, relativement à un défaut d’arrêter à un feu rouge.

[18] Le juge de paix Welsh savait en tout temps que Martha Zivolak était (et est encore) une juge de la Cour de justice de l’Ontario et que son mari était un policier. Le juge de paix Welsh avait rencontré la juge Zivolak pour la première fois alors qu’elle était [TRADUCTION] « poursuivante en matière de drogues », avant qu’elle ne soit nommée juge.

[19] Le juge de paix Welsh a supposé à juste titre que la juge Zivolak n’était pas au courant du procès-verbal d’infraction qui avait été envoyé à son ancienne adresse.

[20] Le juge de paix Welsh a fait la démarche inhabituelle de communiquer par courriel avec la juge Zivolak pour l’informer de l’existence de la contravention et a suggéré des façons dont les amendes pourraient être réduites, par exemple, si elle ou son mari se présentait au palais de justice de Hamilton.

[21] La juge Zivolak, qui assistait à un colloque et qui a ensuite pris des vacances, a demandé – le 30 octobre 2008 – si le juge de paix Welsh était disponible le 31 octobre 2008. Le juge de paix Welsh a répondu par courriel qu’il était disponible, mais peu de temps après, il a envoyé un autre courriel indiquant qu’il réduirait l’amende de moitié, à 90 $. La juge Zivolak lui a laissé un message vocal précisant qu’elle ne trouvait pas cela acceptable et qu’elle paierait l’amende en entier. Le juge de paix Welsh a accusé réception de ce message par courriel, mais il a indiqué qu’il n’y avait [TRADUCTION] « aucun problème » et qu’il réduirait l’amende à 90 $.

[22] Le lendemain, le juge de paix Welsh s’est présenté au greffe du tribunal des infractions provinciales pour y soumettre un formulaire indiquant qu’il avait accepté un [TRADUCTION] « plaidoyer de culpabilité imprévu » et imposé une amende réduite de 90 $. Il a versé l’amende personnellement au personnel du tribunal, qui a été plutôt déconcerté par la procédure suivie par le juge de paix Welsh.

[23] Plus tard ce matin-là, le juge de paix Welsh a envoyé un courriel à la juge Zivolak pour l’informer qu’il avait payé l’amende réduite et qu’elle pourrait le rembourser quand cela lui conviendrait.

[24] La juge Zivolak a continué à laisser au juge de paix Welsh des messages téléphoniques indiquant qu’elle voulait payer l’amende en entier sans aucune réduction.

[25] Par la suite, le juge de paix Welsh a été accusé d’un chef d’entrave à la justice en contravention de l’art. 139 du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46, ainsi modifié, relativement à la conduite visée par la présente plainte. Il a inscrit un plaidoyer de culpabilité le 28 avril 2009 et a obtenu une absolution inconditionnelle.

[26] Au début de l’audience devant ce comité, le juge de paix Welsh a admis que sa conduite visée par la présente plainte (concernant le procès-verbal d’infraction de la juge Zivolak) équivalait à une inconduite judiciaire pour laquelle il avait offert de piètres excuses.

E. Conduite

[27] Dans toutes les plaintes, il est allégué que la preuve a été faite d’une conduite indiquant ou entraînant une perception de favoritisme ou de partialité, de conflit d’intérêts et de manque d’impartialité qui est incompatible avec les fonctions judiciaires du juge de paix Welsh.

III. Antécédents du juge de paix Welsh

[28] Le juge de paix Welsh avait 60 ans au moment de l’audience. Il est marié et a deux enfants adultes. Il a été policier pendant 32 ans au sein du service de police de Burlington, qui est devenu le service de police régional de Halton, et a terminé sa carrière au rang de sergent. Il a été nommé juge de paix le 24 janvier 2001.

IV. Mesures disponibles

[29] Le paragraphe 11.1(10) de la Loi se lit comme suit :

Une fois qu’il a terminé l’audience, le comité d’audition peut rejeter la plainte, qu’il ait conclu ou non que la plainte n’est pas fondée ou, s’il donne droit à la plainte, il peut, selon le cas :

a) donner un avertissement au juge de paix;

b) réprimander le juge de paix;

c) ordonner au juge de paix de présenter des excuses au plaignant ou à toute autre personne;

d) ordonner que le juge de paix prenne des dispositions précises, telles suivre une formation ou un traitement, comme condition pour continuer de siéger à titre de juge de paix;

e) suspendre le juge de paix, avec rémunération, pendant une période quelle qu’elle soit;

f) suspendre le juge de paix, sans rémunération mais avec avantages sociaux, pendant une période maximale de 30 jours;

g) recommander au procureur général la destitution du juge de paix conformément à l’article 11.2. 2006, chap. 21, annexe B, art. 10.

V. Le critère utilisé pour donner droit à une plainte

[30] Les expressions « inconduite judiciaire » et « donner droit à une plainte » ne sont pas définies dans la Loi. Cependant, nous acceptons l’argument de l’avocat présentant la cause selon lequel les décisions du Conseil canadien de la magistrature et du Conseil de la magistrature de l’Ontario – quant à savoir si un juge a fait preuve d’inconduite judiciaire – s’appliquent au critère que nous devons utiliser pour décider s’il y a lieu de « donner droit » à une plainte (conformément au par. 11.1(10) de la Loi) et, dans l’affirmative, s’il y a lieu d’appliquer une ou plusieurs des mesures énoncées dans ce paragraphe, lesquelles sont identiques aux mesures que peut prendre le Conseil de la magistrature de l’Ontario aux termes du paragraphe 51.6(11) de la Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.O. 1990, c. C. 43 (« LTJ »).

[31] Dans l’arrêt Re Baldwin (2002), un comité d’audition du Conseil de la magistrature de l’Ontario a examiné le sens de l’expression « inconduite judiciaire » à la lumière de deux décisions rendues par la Cour suprême du Canada dans les arrêts Therrien c. Ministre de la Justice, [2001] 2 R.C.S. 3 et Moreau-Bérubé c. Nouveau-Brunswick (Conseil de la magistrature), [2002] 1 R.C.S. 249. Dans l’arrêt Re Baldwin, le comité d’audition a précisé ce qui suit :

L’objet de l’instance sur une inconduite de la magistrature est essentiellement correctif. Les dispositions prĂ©vues Ă  l’article 51.6(11) doivent ĂŞtre invoquĂ©es au besoin pour rĂ©tablir la confiance du public Ă  la suite de la conduite du juge.

Paraphrasant le test prĂ©vu par la Cour suprĂŞme dans Therrien et Moreau-BĂ©rubĂ©, la question examinĂ©e en vertu de l’article 51.6(11) est de dĂ©terminer si la conduite qui est reprochĂ©e est si gravement contraire Ă  l’impartialitĂ©, l’intĂ©gritĂ© et l’indĂ©pendance de la magistrature qu’elle a minĂ© la confiance du public dans la capacitĂ© du juge d’accomplir les fonctions de sa charge ou l’administration de la justice de manière gĂ©nĂ©rale et qu’il est nĂ©cessaire au Conseil de la magistrature de prendre l’une des mesures prĂ©vues Ă  l’article pour rĂ©tablir cette confiance.

Ce n’est que lorsque la conduite qui est l’objet de la plainte dĂ©passe ce seuil qu’il faut envisager l’application des mesures prĂ©vues Ă  l’article 51.6(11). Une fois que le Conseil a dĂ©terminĂ© qu’il faut appliquer l’une des mesures prĂ©vues Ă  l’article 51.6(11), il doit examiner d’abord la mesure la moins grave – un avertissement – et passer ensuite dans un ordre sĂ©quentiel Ă  la mesure la plus grave – une recommandation de destitution – et ordonner uniquement ce qui est nĂ©cessaire pour rĂ©tablir la confiance du public dans le juge et l’administration de la justice de manière gĂ©nĂ©rale. (C’est nous qui soulignons.)

Nous souscrivons à l’avis exprimé par le comité d’audition dans l’arrêt Re Baldwin selon lequel il s’agit là de l’approche et du critère qu’il convient d’appliquer dans les instances sur une inconduite de la magistrature.

[32] Le juge de paix Welsh a admis avoir commis une inconduite judiciaire dans le cas de la plainte concernant le procès-verbal d’infraction de la juge Zivolak. Par conséquent, hormis la mesure même, il est inutile de tirer une autre conclusion à cet égard. En ce qui concerne les trois autres affaires, nous devons examiner l’obligation d’impartialité.

[33] Dans le même ordre d’idées, s’il est décidé qu’il y a eu inconduite judiciaire, cette même obligation doit être examinée pour déterminer la mesure qu’il convient de prendre afin que la confiance du public dans l’impartialité du système judiciaire soit maintenue.

[34] L’obligation d’impartialité du juge a été exprimée dans Ruffo(Re) , [2005] J.Q. no 17953 (C.A.), au par. 148 :

D’ailleurs, la prĂ©somption d’impartialitĂ© qui accompagne la fonction de juge sert un objectif bien prĂ©cis, celui de l’intĂ©gritĂ© du système judiciaire. Cette prĂ©misse ne peut pas ĂŞtre remise en question Ă  chaque fois qu’un justiciable est insatisfait d’une dĂ©cision. Le juge peut s’être trompĂ© en fait ou en droit, l’appel le corrigera, le cas Ă©chĂ©ant. Cela ne signifie pas pour autant que son erreur provient d’un manque d’impartialitĂ©.

[35] Dans le but d’offrir des conseils en matière de déontologie aux juges nommés par le fédéral, le Conseil canadien de la magistrature a publié un document intitulé Principes de déontologie judiciaire (Ottawa, Conseil canadien de la magistrature, 1998), que la Cour de justice de l’Ontario a adopté pour les mêmes fins à l’intention de ses juges et de ses juges de paix.

[36] Sur le sujet de l’impartialité, le document précise ce qui suit :

PRINCIPES

A. Formulation générale

1. Les juges voient à ce que leur conduite, tant dans l’enceinte du tribunal qu’à l’extérieur de celle-ci, entretienne et accroisse la confiance en leur impartialité et en celle de la magistrature en général.

3. L’apparence d’impartialité doit être évaluée en fonction de la perception d’une personne raisonnable, impartiale et bien informée.

[37] Il faut se rappeler qu’une conclusion de manque d’impartialité ou de crainte raisonnable de partialité ne mène pas nécessairement à une conclusion d’inconduite judiciaire. En fait, dans l’arrêt Re Douglas (2006) O.J.C., un comité d’audition du Conseil de la magistrature de l’Ontario a examiné la conduite d’un juge et a conclu que le juge avait, à n’en pas douter, suscité une crainte raisonnable de partialité. Cependant, le comité d’audition a conclu que la conduite en cause n’équivalait pas à une inconduite judiciaire.

[38] Enfin, pour traiter chacune des plaintes, nous devons demeurer conscients de l’équilibre entre la responsabilité judiciaire et l’indépendance judiciaire dans le cadre de ces types d’audiences. Dans l’arrêt Re Baldwin, il est précisé ce qui suit :

Lorsque la confiance du public est minĂ©e par la conduite d’un juge, il doit y avoir un processus pour remĂ©dier au prĂ©judice qui a Ă©tĂ© occasionnĂ© par cette conduite. Toutefois, il est important de reconnaĂ®tre que la manière selon laquelle les plaintes relatives Ă  l’inconduite d’un juge sont examinĂ©es peut avoir un effet freinant ou paralysant sur l’action judiciaire. Par consĂ©quent, le processus suivi pour examiner les allĂ©gations d’inconduite d’un juge doit prĂ©voir une obligation de rendre compte sans rĂ©duire de manière inadĂ©quate l’indĂ©pendance ou l’intĂ©gritĂ© de la pensĂ©e ou du processus dĂ©cisionnel des juges.

VI. Norme de preuve

[39] Dans l’arrêt Re Evans (2004), un comité d’audition du Conseil de la magistrature de l’Ontario a adopté l’exigence selon laquelle une conclusion d’inconduite professionnelle exigeait une preuve forte et incontestable, fondée sur des éléments convaincants. Par la suite, cette exigence a également été acceptée dans l’arrêt Re Douglas, précité, au paragraphe 10.

[40] Dans les affaires d’inconduite professionnelle, diverses approches ont été adoptées en ce qui concerne la norme de preuve – y compris la « norme variable » énoncée dans l’arrêt Bater v. Bater [1950] 2 All E.R. 458 (C.A.) par lord Denning, qui était d’avis que la norme civile de preuve (c.-à-d., la prépondérance des probabilités) comportait des degrés de probabilité [TRADUCTION] « proportionnés aux circonstances ». Autrement dit, plus l’allégation était grave, plus la norme s’éloignait de la norme civile de preuve traditionnelle de la prépondérance des probabilités pour se rapprocher de la norme criminelle de preuve (c.-à-d., hors de tout doute raisonnable).

[41] Cette approche a récemment été rejetée à l’unanimité par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt F.H. c. McDougall, [2008] 3 R.C.S. 41 :

[45] Laisser entendre que lorsqu’une allégation formulée dans une affaire civile est grave, la preuve offerte doit être examinée plus attentivement suppose que l’examen peut être moins rigoureux dans le cas d’une allégation moins grave. Je crois qu’il est erroné de dire que notre régime juridique admet différents degrés d’examen de la preuve selon la gravité de l’affaire. Il n’existe qu’une seule règle de droit : le juge du procès doit examiner la preuve attentivement.

[46] De même, la preuve doit toujours être claire et convaincante pour satisfaire au critère de la prépondérance des probabilités. Mais, je le répète, aucune norme objective ne permet de déterminer qu’elle l’est suffisamment. Dans le cas d’une allégation grave comme celle considérée en l’espèce, le juge peut être appelé à apprécier la preuve de faits qui se seraient produits de nombreuses années auparavant, une preuve constituée essentiellement des témoignages du demandeur et du défendeur. Aussi difficile que puisse être sa tâche, le juge doit trancher. Lorsqu’un juge consciencieux ajoute foi à la thèse du demandeur, il faut tenir pour acquis que la preuve était à ses yeux suffisamment claire et convaincante pour conclure au respect du critère de la prépondérance des probabilités.

VII. Preuve et conclusions concernant les plaintes à l’égard desquelles aucune inconduite n’est admise :

A) La plainte de M. Watkins

[42] Nous avons écouté l’enregistrement du procès et lu la transcription concernant la présente affaire. Le juge de paix a tenté de diriger l’attention du plaignant sur la question en litige, mais le plaignant était déterminé à soulever des facteurs non pertinents concernant le garage de son voisin et l’utilisation qui était faite de la propriété de son voisin, plutôt qu’à aborder l’accusation visant son propre garage. Il est clair que le juge de paix n’a pas réussi à diriger l’attention du plaignant sur l’accusation concernant son propre garage. De plus, il y a eu un commentaire déplorable et gratuit selon lequel le plaignant et son voisin se comportaient comme de petits enfants.

[43] NĂ©anmoins, nous sommes d’avis que la conduite du juge de paix n’équivalait pas Ă  une inconduite judiciaire, puisque l’on ne saurait dire que sa conduite Ă©tait si gravement contraire Ă  l’impartialitĂ©, l’intĂ©gritĂ© et l’indĂ©pendance de la magistrature qu’elle a minĂ© la confiance du public dans la capacitĂ© du juge de paix d’accomplir les fonctions de sa charge ou l’administration de la justice de manière gĂ©nĂ©rale.

[44] À notre avis, il n’y a pas lieu de conclure à une inconduite judiciaire relativement à la plainte de M. Watkins. Par conséquent, la plainte est rejetée.

B) La plainte de M. Caplan

[45] Nous comprenons un peu la situation dans laquelle le juge de paix Welsh se trouvait au début de l’instance visée par la présente plainte. Il présidait une cour bien remplie où de nombreuses personnes attendaient d’être entendues. L’affaire en cause visait une contravention pour excès de vitesse, une question qui prend habituellement peu de temps à examiner. Il n’y avait aucune demande par écrit qui aurait permis au juge de paix Welsh de connaître la nature de la réparation demandée par l’avocat du défendeur. La réparation demandée n’aurait pas non plus été immédiatement apparente à ses yeux lorsque l’affaire a été appelée à l’audience. Par ailleurs, il n’avait aucune transcription de l’instance antérieure à laquelle le policier n’avait pas comparu. Il a dû se fonder sur les observations de l’avocat pour établir ce qui s’était passé précédemment et déterminer le recours exercé.

[46] Dans les circonstances, nous concluons que le juge de paix Welsh avait le droit d’interroger l’avocat quant au motif pour lequel celui-ci cherchait à contre-interroger le policier sur une question qui, à sa face même, ne semblait guère pertinente au bien-fondé de l’accusation en soi.

[47] La réponse de l’avocat selon laquelle son droit au contre-interrogatoire était une question de [TRADUCTION] « justice naturelle » ne s’est pas avérée particulièrement utile. Elle n’a pas aidé le juge de paix Welsh à comprendre la nature du recours unique exercé par la défense.

[48] Il ressort clairement de la transcription et de l’enregistrement qu’il y avait des tensions croissantes entre le juge de paix Welsh et l’avocat. La situation ne s’est pas améliorée après le commentaire au sujet de la « justice naturelle », l’avocat ajoutant ce qui suit : [TRADUCTION] « Si votre honneur veut m’empêcher de procéder au contre-interrogatoire, je n’y vois pas d’inconvénient – portez tout simplement une note au dossier ».

[49] Après avoir finalement autorisé le contre-interrogatoire, le juge de paix Welsh est clairement intervenu de façon inappropriée lors de son propre interrogatoire du policier. Le juge de paix Welsh prétend qu’il est intervenu dans le but d’aider l’avocat à comprendre les procédures policières, compte tenu de sa propre expérience au sein de la police. Cependant, en intervenant ainsi, notamment à la lumière des tensions manifestes antérieures entre lui et l’avocat, le juge de paix Welsh a donné l’impression qu’il était entré en lice, ce qui a suscité une crainte raisonnable de partialité.

[50] Cependant, comme il a été précisé dans l’arrêt Re Douglas, précité, une conclusion de manque d’impartialité ne mène pas nécessairement à une conclusion d’inconduite judiciaire. En l’espèce, le juge de paix Welsh a reconnu qu’il est allé trop loin lors de son interrogatoire du policier et qu’il a tiré des leçons de cette expérience; il a déclaré qu’il ferait de son mieux pour éviter qu’une telle situation ne se reproduise. Puisque M. Caplan a comparu par la suite devant lui sans soulever d’objection dans une affaire de conduite imprudente, il est raisonnable de supposer qu’à l’avenir, toute affaire impliquant M. Caplan et le juge de paix Welsh sera instruite dans la civilité à laquelle on s’attend dans le cadre des rapports entre un avocat et un fonctionnaire judiciaire.

[51] Enfin, il convient de souligner que la présente plainte et celle de M. Watkins sont les deux plaintes concernant la conduite du juge de paix Welsh en salle d’audience. Nous avons conclu que la plainte dans l’affaire Watkins n’est pas fondée. À l’allégation de comportement inapproprié et de partialité qui reste viennent s’opposer les nombreuses lettres de moralité et la preuve testimoniale de membres de la communauté juridique de Hamilton, qui font état de la patience et de la politesse du juge de paix Welsh et de sa compréhension des questions de droit et de fait lorsqu’il préside les procès et les enquêtes sur le cautionnement menés en vertu de la Loi sur les infractions provinciales.

[52] Il se peut bien que le juge de paix Welsh soit intervenu de façon excessive en l’espèce. Cependant, pour les motifs énoncés ci-dessus, nous ne sommes pas d’avis que sa conduite équivalait dans toutes les circonstances à une inconduite judiciaire au sens de la jurisprudence.

[53] Par conséquent, nous sommes d’avis de rejeter la plainte de M. Caplan.

C) L’affaire Hrab

[54] Dans la présente plainte, il est essentiellement allégué que le juge de paix Welsh a fait preuve de favoritisme en accordant deux prorogations du délai de paiement d’amendes à Paul Hrab en raison de l’intervention de son père, Steve Hrab, un policier que connaissait le juge de paix Welsh. La plainte n’était pas formulée de cette manière dans l’avis d’audience, mais le contre-interrogatoire a certainement porté sur la question de l’impartialité et aucune objection à ce contre-interrogatoire n’a été soulevée.

[55] Les détails de la plainte portaient surtout sur la confusion ressentie par le personnel du tribunal en raison du traitement des motions visant à obtenir une prorogation du délai de paiement en décembre 2008, puisque les prorogations avaient été accordées sans les dénonciations originales et que l’une des prorogations avait été accordée relativement à une affaire à Burlington (à l’extérieur du territoire de compétence habituel du juge de paix).

[56] Nous acceptons la preuve du juge de paix Welsh selon laquelle celui-ci n’était pas au courant de la politique concernant l’affaire de Burlington et ne s’est pas assuré d’avoir les dénonciations originales devant lui, puisqu’il s’agissait selon lui d’une affaire [TRADUCTION] « de prorogation préexistante » et qu’il avait accordé une prorogation l’année précédente, alors que les documents originaux étaient devant lui.

[57] Le juge de paix administratif local Mitchell Baker a examiné l’affaire et conclu que le juge de paix Welsh n’avait pas siégé de façon inappropriée à la cour d’accès pour traiter des prorogations de délai, puisqu’il aurait pu le faire [TRADUCTION] « à l’heure du dîner » plutôt qu’à la cour d’accès (selon la déclaration de ce juge de paix administratif local qui a été déposée dans l’exposé conjoint des faits, à l’onglet 29).

[58] Au vu de la preuve qui nous a été présentée, nous ne constatons aucune preuve claire et convaincante qui nous permette de conclure raisonnablement que les demandes de prorogation ont été instruites de façon inappropriée et de manière à mener à une conclusion d’inconduite judiciaire.

[59] Le juge de paix Welsh a déclaré qu’il considérait Steve Hrab comme un père gêné comparaissant au nom de son fils, et non comme un policier. Rien ne contredit cette preuve et nous sommes disposés à l’accepter.

[60] Bien entendu, l’affaire ne s’arrête pas là. Il reste encore à déterminer si l’instruction de la présente affaire par le juge de paix Welsh porterait une personne raisonnable, impartiale et bien informée à soupçonner raisonnablement que le juge n’a pas été impartial dans l’exercice de ses fonctions.

[61] Les facteurs suivants sont pertinents à l’examen de la question :

a) Conditions de prorogation favorables

À première vue, les conditions de l’entente de prorogation semblent être très favorables à Paul Hrab. Bien que cela puisse être vrai, il n’en serait peut-être pas ainsi si ce dernier était sans emploi, criblé d’autres dettes et démuni. Les conditions avaient été fixées sur la foi des représentations faites par Steve Hrab, le père de Paul Hrab; le juge de paix Welsh a déclaré qu’il n’avait aucun motif de ne pas croire ces représentations. Il aurait sans doute été préférable d’enregistrer les représentations faites par Steve Hrab au juge de paix Welsh devant la cour d’accès; un tel enregistrement aurait pu corroborer le compte rendu du juge de paix Welsh. Ni Steve Hrab ni Paul Hrab n’a été appelé à témoigner par l’une ou l’autre partie lors de l’audience dont nous sommes saisis; d’après les apparences, ni l’un ni l’autre n’a été interrogé dans le cadre de l’enquête visant à déterminer si la situation financière de Paul Hrab justifiait les conditions de l’ordonnance de prorogation du juge de paix Welsh.

[62] En contre-interrogatoire, on a déclaré au juge de paix Welsh que le remboursement des amendes prendrait 13 ans au taux de remboursement fixé. Bien que cela soit vrai, cette déclaration ne tient pas compte du fait que les prorogations étaient assorties d’un délai d’un an chacune et qu’il faudrait procéder à un examen de la situation financière de Paul Hrab lors de chaque renouvellement. Il importe de prendre en considération le pouvoir discrétionnaire restreint dont disposait le juge de paix Welsh au moment d’entendre la demande de prorogation du délai de paiement des amendes prévue à l’art. 66 de la Loi sur les infractions provinciales, L.R.O. 1990, c. P.33, la disposition législative qui régit de telles demandes. Les paragraphes pertinents se lisent comme suit :

(3) Demande de renseignements – Si le défendeur demande une prorogation du délai de paiement de l’amende, le tribunal peut poser au défendeur et à son sujet, sous serment, sous affirmation solennelle ou autrement, les questions qu’il juge souhaitables, mais le défendeur n’est pas tenu de répondre aux questions.

(4) Prorogation – Le tribunal accorde la prorogation du délai de paiement, notamment en ordonnant que le paiement soit effectué par versements périodiques, à moins qu’il ne conclue que la demande de prorogation du délai n’est pas faite de bonne foi ou que la prorogation servirait vraisemblablement à éluder le paiement.

(6) Motion pour l’obtention d’une prorogation additionnelle – Le défendeur peut demander, à tout moment, la prorogation ou la prorogation additionnelle du délai de paiement d’une amende en présentant une motion rédigée selon la formule prescrite au greffe du tribunal. La motion fait l’objet d’une décision d’un juge qui a à cet égard les mêmes pouvoirs qu’a le tribunal en vertu des paragraphes (3) et (4).

[63] Il ressort de ce qui précède que le juge de paix Welsh était tenu d’accorder la prorogation (c.-à-d., « accorde la prorogation du délai de paiement »), à moins qu’il ne conclue que la demande de prorogation n’était pas faite de bonne foi ou que la prorogation servait à éluder le paiement.

b) Était-il étrange que Paul Hrab ne comparaisse pas en personne?

[64] Dans les affaires visées par la Loi sur les infractions provinciales, le défendeur n’est pas tenu de comparaître en personne, à moins que le tribunal ne le lui ordonne. Il n’est pas rare que le défendeur comparaisse par l’intermédiaire d’un avocat ou d’un représentant, notamment – comme c’est souvent le cas – un membre de la famille.

c) En tant qu’ancien policier, le juge de paix Welsh aurait-il dû se récuser et s’abstenir d’instruire les demandes de Steve Hrab, un policier qui avait un intérêt personnel dans les demandes, en ce sens qu’elles visaient son fils?

[65] Aucune preuve ne donne à penser que le juge de paix Welsh ait volontairement ou sciemment siégé à la cour d’accès pour faciliter l’instruction des demandes de M. Hrab. En fait, le contraire est vrai, à tout le moins en ce qui concerne la demande de renouvellement de 2008.

[66] Une telle suggestion remet en question la capacité de toute personne provenant d’une partie du système de justice pénale – qu’il s’agisse d’un procureur de la Couronne, d’un avocat de la défense ou d’un policier – qui est nommée fonctionnaire judiciaire de respecter son serment de demeurer impartiale. À notre avis, il est généralement reconnu que les personnes qui deviennent juges peuvent provenir de différents milieux judiciaires et respecter un tel serment. Sinon, de nombreuses personnes possédant des compétences idéales seraient automatiquement inhabiles à occuper un poste de fonctionnaire judiciaire.

[67] En tant que fonctionnaire judiciaire, le juge de paix Welsh est tenu d’entendre la preuve des policiers dans le cadre des affaires, des enquêtes sur le cautionnement et des demandes de mandat de perquisition visant des infractions provinciales et, dans plusieurs cas, il doit tirer des conclusions quant à la crédibilité de cette preuve. S’il était tenu de se récuser dans de tels cas en raison de son ancien emploi, la portée de ses fonctions serait grandement – et, à notre avis, inutilement – réduite. Dans le document intitulé Principes de déontologie judiciaire, précité, sous le titre « Impartialité » et le sous-titre « Conflits d’intérêts », la question de savoir si le juge doit se récuser est axée sur l’intérêt personnel de celui-ci. Le sous-titre se lit comme suit :

E. Conflits d’intérêts

1. Les juges se récusent chaque fois qu’ils s’estiment incapables de juger impartialement.

2. Les juges se récusent chaque fois qu’ils croient qu’une personne raisonnable, impartiale et bien informée aurait des motifs de soupçonner qu’il existe un conflit entre leur intérêt personnel (ou celui de leurs proches parents, de leurs amis intimes ou de leurs associés) et l’exercice de leur fonction.

3. Il n’est pas à propos de se récuser si, selon le cas : a) l’élément laissant croire à la possibilité de conflit est négligeable ou ne permettrait pas de soutenir de manière plausible que la récusation s’impose; b) il est impossible de constituer un autre tribunal qui puisse être saisi de l’affaire ou, en raison de l’urgence d’instruire la cause, l’omission d’agir pourrait entraîner un déni de justice. [68] Rien ne donne à penser que le juge de paix Welsh ait eu un intérêt personnel quelconque dans les motions visant à obtenir une prorogation du délai de paiement des amendes.

[69] Au commentaire E.7 figurant sous le sous-titre « Conflits d’intérêts » dans le document intitulé Principes de déontologie judiciaire, il est suggéré qu’il est possible que des membres de la famille, des amis intimes ou des associés du juge détiennent des intérêts qui « donnent lieu à une crainte raisonnable de conflit entre les intérêts du juge et ses fonctions », mais que, « [t]outefois, il est beaucoup plus difficile de cerner ces cas de façon plus précise ». Le juge de paix Welsh et Steve Hrab n’entretenaient pas une relation étroite. Ils n’avaient jamais été collègues. Steve Hrab avait simplement comparu devant le juge de paix Welsh dans le cadre de quelques demandes de mandat de perquisition.

[70] Au commentaire E.19, il est prévu qu’un juge peut entendre des affaires impliquant des personnes qui ont déjà travaillé avec le juge ou qui sont même d’anciens clients. Le commentaire se lit comme suit :

Les juges devront parfois se demander s’il convient d’entendre des affaires qui impliquent d’anciens clients, des membres de leur ancien cabinet d’avocats ou des avocats du ministère ou du bureau d’aide juridique dans lequel ils ont exercé avant leur nomination. Trois facteurs principaux entrent en jeu. Premièrement, le juge ne doit pas entendre d’affaires dans lesquelles il se trouve réellement en situation de conflit d’intérêts — par exemple, parce qu’il a obtenu des renseignements confidentiels reliés au litige avant d’être nommé juge. Deuxièmement, il faut éviter les situations où une personne raisonnable, impartiale et bien informée éprouverait une suspicion raisonnée que le juge n’est pas impartial. Troisièmement, le juge ne doit pas se récuser inutilement, afin de ne pas alourdir la charge de ses collègues et retarder le fonctionnement des tribunaux. Les lignes directrices suivantes ont un caractère général. Elles peuvent s’avérer utiles :

a) Le juge ne devrait pas entendre d’affaires dans lesquelles lui-même ou son ancien cabinet ont agi directement, soit à titre de procureur inscrit au dossier, soit à un autre titre, avant sa nomination.

c) En ce qui concerne les affaires impliquant d’anciens collègues, associés ou clients du juge, la ligne de conduite traditionnelle consiste a s’abstenir de les instruire pendant une certaine période. Souvent fixée à deux, trois ou cinq ans, selon les coutumes locales, et de toute façon cette période de « distanciation » se poursuit, à tout le moins, aussi longtemps qu’il existe une dette entre le cabinet et le juge. La ligne directrice a) visant les anciens clients entre également en ligne de compte.

[71] À la lumière des lignes directrices énoncées ci-dessus, nous sommes d’avis que le juge de paix Welsh n’était pas tenu de se récuser et de s’abstenir d’examiner les demandes visées en l’espèce.

[72] Après avoir examiné tous les facteurs énoncés ci-dessus, nous avons conclu que la conduite du juge de paix Welsh dans la présente affaire n’aurait pas porté une personne raisonnable, impartiale et bien informée à soupçonner raisonnablement que le juge n’avait pas été impartial.

[73] Par conséquent, la plainte concernant M. Hrab est rejetée.

D) L’affaire de la juge Zivolak

[74] Les motifs du comité d’audition à l’égard de la présente affaire sont rendus par le professeur Emir Aly Crowne-Mohammed.

[75] D’entrée de jeu, je tiens à souligner qu’il importe que les membres du public sachent que les présentes audiences sont tenues en vue de chercher la vérité et de rétablir la confiance du public dans l’administration de la justice. Les comités d’audition ne sont pas prédisposés à protéger ou à punir les fonctionnaires judiciaires. Par ailleurs, les décisions de chacun des membres des comités d’audition sont rendues – et l’ont été – de façon indépendante.

[76] Les parties se sont entendues sur les faits à l’origine des présentes audiences, ainsi que sur les conclusions relatives à la plainte de M. Watkins, à la plainte de M. Caplan et à l’affaire Hrab.

[77] En ce qui concerne l’affaire de la juge Zivolak, le juge de paix Welsh a admis avoir fait preuve d’inconduite judiciaire. À la différence des trois autres affaires, l’affaire de la juge Zivolak n’exige pas la tenue d’une enquête sur le seuil. La seule question à trancher est celle de la mesure qu’il convient de prendre.

[78] Afin de déterminer la mesure la plus appropriée à prendre pour rétablir la confiance dans la capacité du juge de paix Welsh d’exercer sa charge ou l’administration de la justice de manière générale, nous devons prendre en considération le plaidoyer de culpabilité inscrit par le juge de paix Welsh relativement à l’accusation criminelle d’entrave à la justice. Une admission de conduite criminelle par un fonctionnaire judiciaire est extraordinaire. Néanmoins, le juge de paix Welsh s’est vu accorder une absolution inconditionnelle, à savoir, la sanction la moins grave qu’il soit possible d’imposer dans une instance criminelle. Lorsqu’il s’agit de décider s’il y a lieu d’accorder une absolution, la dissuasion ou la réadaptation du délinquant n’est pas la préoccupation principale. L’absolution ne doit pas être « contraire à l’intérêt public » et est habituellement accordée aux personnes de bonnes vie et mœurs (voir R. c. Sanchez-Pino, [1973] 2 O.R. 314 (C.A.)).

[79] Nous reconnaissons que les facteurs à prendre en considération pour accorder une absolution inconditionnelle dans une instance criminelle diffèrent dans une certaine mesure des facteurs pertinents à la mesure que nous devons décider de prendre. Par exemple, dans une instance criminelle, l’intérêt personnel du défendeur est un facteur à prendre en considération pour savoir s’il y a lieu d’accorder une absolution; cependant, ce facteur n’est pas pertinent pour les fins de la présente enquête. Pourtant, dans les deux cas, il est pertinent d’examiner l’impact de la décision sur l’intérêt public et l’administration de la justice. Par conséquent, un certain examen des observations ayant mené à l’octroi d’une absolution inconditionnelle dans l’instance criminelle serait utile dans nos délibérations.

[80] Il convient de souligner que la procureure de la Couronne qui a engagé des poursuites relativement à l’accusation criminelle a reconnu que le comportement du juge de paix Welsh dans la présente affaire [TRADUCTION] « était différent de son comportement habituel, selon ses références ». Elle a également admis que la conduite reprochée était [TRADUCTION] « parmi les moins graves des infractions d’entrave à la justice dont sont saisis les tribunaux ». Elle a soutenu avec la défense qu’une absolution inconditionnelle devrait être accordée et le juge présidant s’est dit d’accord.

[81] Le paragraphe 11.1(10) de la Loi énonce les mesures que peut prendre le comité d’audition. Les mesures sont énumérées par ordre croissant de gravité, de la moins grave (c.-à-d., un avertissement) à la plus grave (c.-à-d., une recommandation au procureur général visant la destitution du juge de paix).

[82] Les trois mesures les « moins » graves sont les avertissements, les réprimandes et les excuses (al. 11.10a) à 11.10c) de la Loi). Ces mesures ne conviennent pas en l’espèce. Le juge de paix Welsh avait plaidé coupable à un chef d’entrave à la justice en contravention de l’art. 139 du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46, ainsi modifié, relativement à la conduite visée en l’espèce. Tout au long des présentes instances criminelles et des audiences en cours, le juge de paix Welsh a implicitement – voire explicitement – fait l’objet d’avertissements et de réprimandes et présenté des excuses à de nombreuses occasions.

[83] Même si les instances criminelles précitées n’avaient pas eu lieu mais que le juge de paix Welsh avait tout de même admis avoir fait preuve d’inconduite judiciaire, le comité ne se serait pas borné à ordonner la prise des mesures énoncées aux alinéas 11.10a) – 11.10c), en raison de la gravité de l’inconduite en question.

[84] Les mesures les « plus » graves sont les suspensions et la destitution (al. 11.10e) à 11.10g) de la Loi). À notre avis, nous ne pouvons recommander au procureur général la destitution du juge de paix Welsh. Les actes du juge de paix Welsh ne comprenaient aucun élément de corruption implicite ou explicite. Bien qu’il ait inscrit un plaidoyer de culpabilité relativement à une accusation d’entrave à la justice, nous convenons avec la procureure de la Couronne qui a engagé des poursuites relativement à cette accusation que la conduite en cause était parmi les moins graves pour une telle infraction, comme le reflète l’absolution inconditionnelle accordée par le tribunal, qui a tenu compte, du moins en partie, de l’intérêt public et de l’administration de la justice de manière générale. Ces facteurs, accompagnés de la preuve testimoniale (tant écrite que de vive voix) extrêmement solide que nous avons reçue à l’appui du juge de paix Welsh, nous permettent de conclure que la confiance du public ne serait pas minée si le juge de paix Welsh continuait à exercer sa charge.

[85] Nous ne croyons pas non plus qu’une suspension convienne en l’espèce. Le juge de paix Welsh n’a pas été désigné depuis le 23 janvier 2009 et, quoi qu’il en soit, une autre suspension n’aurait pas pour effet de remédier à la « cause » sous-jacente de l’inconduite judiciaire.

[86] Cela nous amène aux mesures du milieu – une formation ou un traitement (al. 11.10d) de la Loi). De l’avis du comité, une telle mesure est le recours le plus approprié pour l’inconduite judiciaire en question. Dans l’affaire de la juge Zivolak, la « cause » de l’inconduite judiciaire découle du défaut de maintenir l’indépendance et l’impartialité appropriées auxquelles on s’attend d’un fonctionnaire judiciaire. La primauté du droit a sans aucun doute été compromise et il faut rectifier la situation en faisant suivre une formation au juge.

[87] À notre avis, la nature publique de la présente instance a, de plusieurs façons, servi à dégriser et à décontenancer le juge de paix Welsh pour qu’il rende des comptes sur sa conduite. Nous sommes confiants que cette conduite ne se reproduira pas dans des situations similaires. Cependant, l’obligation permanente d’indépendance et d’impartialité est un concept large qui doit en tout temps demeurer placé au premier rang dans l’esprit d’un fonctionnaire judiciaire alors qu’il exerce ses fonctions. Nous croyons que la confiance du public dans le juge de paix Welsh serait renforcée si celui-ci était tenu de suivre un programme d’études approprié mettant l’accent sur l’importance de l’indépendance et de l’impartialité des juges.

[88] Conformément à l’alinéa 11.10d) de la Loi, le comité ordonne que le juge de paix Welsh suive une formation des juges particulière comme condition pour continuer de siéger à titre de juge de paix – cette formation étant prescrite par le juge en chef adjoint et coordonnateur des juges de paix – dans les domaines de l’indépendance et de l’impartialité de la magistrature.

E) Conduite

[89] Compte tenu de nos conclusions précédentes à l’égard de la plainte de M. Watkins, de la plainte de M. Caplan et de l’affaire Hrab, il est inutile d’examiner davantage la question de savoir si la preuve a été faite d’une conduite indiquant ou entraînant une perception de favoritisme ou de partialité, de conflit d’intérêts et de manque d’impartialité qui est incompatible avec les fonctions du juge de paix Welsh.

Fait à Toronto, dans la province d’Ontario, le 8 décembre 2009.

Comité d’audition :

L’honorable J. David Wake
Madame la juge Lorraine A. Watson, juge de paix
Professeur Emir Aly Crowne-Mohammed, membre de la communauté